De longues minutes silencieuses s'installèrent, pendant lesquelles Lou semblait perdue dans la danse des flammes et l'envol des braises. Austin gardait les paumes de ses mains tournées vers le feu, se laissait distraire par son crépitement apaisant. La petite fille sortit de sa torpeur pour dévisager le regard vide du garçon. Puis, ses yeux se posèrent sur le journal vert, posé sur un tronc d'arbre couché.
— Je suis désolée pour la guitare, murmura-t-elle.
Il soupira, et s'efforça de sourire en haussant les épaules.
— J'en rachèterai une.
— Avec quel argent ?
— Celui... de mes parents, j'imagine.
Elle regroupa ses jambes pour se mettre en tailleur, et posa ses coudes sur ses genoux, les paumes de ses mains maintenant sa tête.
— Comment c'est, chez toi ?
Elle le fit doucement sourire. Sa position ressemblait à celle qu'il avait lorsqu'il était tout petit, et que Delphine lui racontait des histoires avant d'aller dormir. Il s'éclaircit la voix et commença :
— D'abord... Je dirais que c'est grand. Confortable. Plein de canapés et de fauteuils installés entre des murs blancs et lumineux. On a aussi un beau jardin, mon père prévoit même d'y faire construire une piscine.
Elle le coupa d'un geste de la main.
— Attends, attends. Je n'avais pas compris que tu venais de la haute.
— De la « haute », répéta-t-il en riant. C'est un grand mot.
— Tu peux me dire pourquoi monsieur Austin le bourgeois a préféré quitter cette maison – qui, entre nous soit dit, a l'air fantastique – pour se retrouver autour d'un feu avec un cheval et une gamine de douze ans ?
Il demeura silencieux, puis se mit à rire en secouant la tête. Quelle ironie. A vrai dire, c'était la question qu'il se posait depuis leur départ de Lyon. Il ne savait même pas ce qu'il cherchait. Et maintenant qu'il avait perdu la guitare, le sens de son voyage semblait s'estomper sous ses yeux. En revanche, il savait pourquoi il était parti.
— En fait... Je crois que c'est un peu comme toi.
La petite fille l'interrogea du regard.
— Je crois... que je me sentais prisonnier. Parfois, même si on te donnait tout l'argent du monde... ça n'irait pas mieux.
Lou attrapa une poignée de bouts de bois et les déposa sur le feu pour faire reprendre les flammes. Elle se frotta les mains et hocha la tête.
— Et maintenant ? Tu te sens mieux ?
Il passa une main nerveuse dans ses cheveux et afficha un regard triste.
— Je n'en sais rien.
Elle croisa les bras et s'adossa contre le tronc d'arbre qui se trouvait derrière elle, et afficha un sourire malicieux.
— C'est ta petite Elsa qui te manque, c'est ça ?
— Pitié, tu ne vas pas recommencer avec ça...
— Je parie qu'elle ne pense même pas à toi, mon pauvre.
Il soupira. Elle avait probablement raison. S'il avait arrêté de perdre son temps à se dire qu'il n'avait aucune chance avec elle, il aurait pu passer à l'action, ou rencontrer quelqu'un d'autre.
La petite fille s'emballa en fronçant les sourcils :
— Et puis d'abord, je ne vois pas ce que tu lui trouves, à cette fille. Sans rire, si elle traite tout le monde comme elle m'a traitée, ça doit être une vraie peste...
— Elle est jolie, murmura-t-il.
Lou ouvrit la bouche, mais se ravisa. Un silence s'installa entre eux. Moqueuse, elle se tourna vers le cheval.
— T'entends ça, Prince ? Il est marrant, hein ? Non, franchement. Tu devrais élargir ton champ de tir.
L'animal ne leur prêta aucune attention, trop occupé à brouter les tiges d'herbes coincées entre la mousse et les pommes de pins.
— Je te trouve très douée pour donner des conseils, grinça Austin. Et toi, alors ?
— Quoi, moi ?
— Je t'ai vu rougir, quand Andry t'a posé cette question. Allez, raconte-moi.
Elle secoua la tête et baissa les yeux, ramassant une petite pomme de pin ouverte.
— J'ai pas envie.
Il tourna sa langue dans sa bouche et se pencha en avant en souriant.
— Tu sais, ça arrive d'avoir des chagrins d'amour.
— C'est pas ça.
Austin recula en croisant les bras, devenant soudain sérieux.
— C'est quoi, alors ?
Il aperçut une petite larme qui coulait le long de la joue de Lou. Elle retira son bonnet pour la sécher et secoua nerveusement la tête.
— C'est pas facile.
— D'accord. D'accord.
La petite fille se tourna dos au feu, fixa son bonnet dans la terre et déposa sa tête dessus.
— Bonne nuit, murmura-t-elle d'une voix inaudible.
— Bonne nuit.
Austin resta assis encore quelques minutes, songeant qu'elle demeurait têtue comme une mule. Il leva les yeux au ciel, vers les étoiles et les branches des arbres qui semblaient flotter dans l'air. Il se rappela des paroles d'Andry. Il avait demandé à la petite si elle avait un petit ami... Et puis autre chose. Impossible de se souvenir quoi.
Il s'allongea, le regard tourné vers les cieux. Ce soir, prit d'une angoisse soudaine, il se demanda s'il était sur la bonne voie. Maintenant que tous les projecteurs de la police étaient braqués sur lui, il sentit la mélancolie lui tirer les larmes des yeux. Sa vie de lycéen banale lui manquait peut-être, finalement. En chassant ces idées noires, il laissa la fatigue s'emparer de lui, jusqu'à fermer les yeux.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...