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Le sentier d'eau qui s'écoulait en petites cascades, mêlant sables et roches humides, semblait interminable. Sans même s'en rendre compte, le trio avait traversé presque l'entièreté des Cévennes, en cette journée. Et tandis que le soleil se couchait doucement, une légère pluie tropicale s'annonçait. Jane avait fait virer leur canot sous une arche rocheuse, éclairée par un gigantesque trou au plafond, dans lequel se déversait racines et masses de lierre. Un îlot à l'abri de la pluie les attendait, faiblement éclairé par les derniers rayons de soleil. A bout de forces, Austin s'arrêta et entendit les chevaux l'imiter, derrière lui. Haletant, il jeta un coup d'œil autour de lui, impressionné par l'immensité de la caverne et du silence qui y régnait. La gigantesque masse de lierre qui pendait au-dessus du point d'eau laissait glisser des gouttes entres ses feuilles, jusqu'à tomber au milieu de la rivière calme. Chaque nouvelle larme que laissait couler le lierre résonnait dans le lieu silencieux, provoquant une onde parfaite à la surface.

Jane laissa le canot progresser sans donner un seul coup de rame jusqu'à l'îlot. Lou balayait l'endroit d'un regard ébahi, comme si elle venait d'entrer dans la plus belle des cathédrales, ou dans une cité perdue étrangère à l'homme. La jeune fille posa un pas prudent sur la terre ferme, redoutant de tomber sur des marécages. Mais ses converses noires ne s'enfoncèrent pas. Le sol était bien sec. Lou sortit à son tour et aida la jeune fille à ramener le canot dans les broussailles. De gigantesques fougères avaient poussé en arc de cercle, atteignant les deux mètres de haut. Austin mit un pied devant l'autre d'un air méfiant, la tête baissée vers l'eau claire. Les deux canassons se laissaient tirer d'un air bêta, jusqu'à la rive. Une fois les pieds sur le sol verdâtre, il lâcha les rênes et se laissa tomber en avant, exténué. Jane l'observa d'un air dépité, les mains sur les hanches, et l'enjamba pour attacher les chevaux non loin de l'eau. Le garçon ferma les yeux, réalisant qu'il pourrait s'endormir d'un instant à l'autre, tant son corps en ressentait le besoin. Le ventre gargouillant, Lou se laissa tomber dans l'herbe et fouilla dans son sac en sifflotant.

— Tu as faim, Austin ?

A peine éveillé, le garçon murmura entre ses dents :

— Anchois et thon, s'il vous plaît...

— Tu sais bien qu'il n'y en a pas, soupira-t-elle.

— ... Jambon beurre... Encore ?

La petite fille hocha la tête et lui envoya son sandwich. Jane s'accroupit au-dessus de lui et murmura :

— Ce n'est pas le moment de dormir. On va s'entraîner pour ma danse.

Piqué de curiosité, Austin fronça les sourcils et se redressa.

— On va faire quoi ?

— Tu es plutôt doué pour monter à cheval, reconnut-elle. On verra

ce qu'il en est de tes pas.

Toujours dans la lune, le garçon se positionna en tailleur, et afficha une mine penaude sans quitter la silhouette de la jeune fille des yeux.

— Je n'y comprends rien...

Jane se pencha vers le sac et saisit son sandwich, en retirant délicatement le film plastique. Lou ne se donna pas cette peine, et l'arracha d'un coup sec avant de planter sauvagement ses dents dans la première bouchée. A contrecœur, Austin les rejoignit, mordant une nouvelle fois dans ce pain gâché par cette tranche de jambon peu goûteuse et deux ou trois morceaux de beurre. Le silence était tel, dans ce lieu à l'allure de grotte, que personne n'osait le briser. Le maitre mot était d'en profiter, en faisant le moins de bruit possible. Une fois son repas disparu, Lou interrogea Jane, alors qu'elle avait encore la bouche pleine.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant