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Jeudi 16 avril, onze heures du matin. La rivière les avait finalement conduit jusqu'à un ruisseau, menant lui-même à la frontière entre les montagnes des Cévennes et le reste du département de la Lozère. Forcés d'abandonner leur « navire » une fois les pieds à terre, Prince et Azia étaient plus qu'heureux de pouvoir les accueillir une nouvelle fois sur leur dos. Cela semblait presque manquer au cheval ambré.

Sur les indications de Jane, ils avaient emprunté un sentier goudronné, qui se déroulait devant eux, grimpant entre les montagnes et se faufilant entre les arbres. Ce chemin semblait interminable. Le soleil se faisait plus discret, ce jour-là. C'était tant mieux, quand Austin y pensait. Les bouteilles d'eau se vidaient à une allure ahurissante. Toujours derrière lui, Lou accrochait ses petites mains autour du ventre du garçon, la tête rêveuse posée sur son épaule. Elle observait les pins arides aux épines ardentes se transformer en bancs de sapins sombres et gorgés d'eau, se hissant jusqu'à dix mètres de haut pour certains. Les sabots des chevaux raclaient le sol encore brûlant. Aucune maison ou autre habitation ne se dessinait à l'horizon. Le calme plat régnait sur la campagne. Des barbelés délimitaient les champs de vaches et autres terrains privés. Jane s'arrêta un instant et releva son chapeau, dirigeant son regard vers le sommet de la montagne de forêt qui les attendait. Elle souffla et se remit en route, suivie de près par Prince et ses deux cavaliers.

Après deux kilomètres à parcourir la montée en haletant, un ronflement de moteur parvint aux oreilles des jeunes. Alors qu'ils faisaient face à une épingle, une voiture débarqua sans ralentir, rasant de près le bord de la route. A l'intérieur, quatre garçons se tordaient de rire en se faisant passer un joint. A la vue de Jane, le conducteur se mit à klaxonner de manière insistante en la dévorant des yeux. Celle-ci se contenta de détourner la tête et dépassa la voiture. Quelques mètres à l'arrière, Austin serra les rênes de Prince avant de le faire accélérer. Lorsque la voiture le croisa, il afficha un regard sombre aux passagers et accéléra le pas pour rattraper la jeune fille. Derrière lui, Lou leur adressa un doigt d'honneur et cria :

— Allez vous faire foutre !

Elle posa directement une main sur sa bouche, persuadée que le garçon allait la sermonner. Il n'en fit rien, indigné par ce qu'il venait de voir. Prince arriva au niveau d'Azia. Le garçon se pencha vers Jane :

— Ça va ?

— Bien sûr, pourquoi ?

Surpris, ce dernier balbutia en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule :

— Ils... Ils voulaient quoi, ces cons ? J'y crois pas...

Jane secoua la tête.

— Laisse tomber. Au bout d'un moment, on s'y fait.

— Comment ça ? s'écœura la petite fille. Je vais aller te crever leurs pneus, moi !

— Je me disais la même chose, au début. Mais, si tu savais combien de voitures tu devrais vandaliser, dans ce cas-là...

Lou croisa furieusement les bras et secoua la tête :

— M'en fous. Le jour où ces cons viendront me chercher, ce sera mon pied entre les jambes !

Austin secoua tristement la tête, lisant l'abdication dans les yeux de Jane. Réaliser qu'une fille si lumineuse et bienveillante se faisait rabaisser comme ça quotidiennement, lui serra le cœur. Et lorsque Lou serait plus grande, ce serait son tour. Il soupira d'un air défaitiste :

— Ces gars-là sont des lâches. Ils attaquent en bande les filles qui sont seules. Parfois, il vaut mieux laisser couler.

Il marqua une pause, échangea un regard interdit avec Jane et esquissa néanmoins un sourire léger, en se tournant vers elle :

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant