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Le soleil effleurait déjà les montagnes, à l'ouest. Sa lueur incandescente s'adoucissait, se laissant recouvrir d'une teinte orangée agréable aux yeux. Des dizaines d'oiseaux s'échappaient des grands chênes, en entendant les sabots lourds du cheval racler contre le goudron. La petite fille s'était entêtée près de deux heures à parler à l'animal, malgré les commentaires d'Austin qui lui assurait que l'étalon ne la comprendrait pas mieux. Mais, comme d'habitude, elle n'en faisait qu'à sa tête. C'est aux alentours de onze heures qu'elle enroula ses bras autour du garçon et posa sa tête sur son dos, se laissant tomber de fatigue. Puis, à treize heures, elle s'était mise à grogner lorsqu'il la réveilla pour manger.

Il devait être aux alentours de dix-huit heures, maintenant. Impossible pour elle d'espérer fermer l'œil avant un moment. Hypnotisée par la grande boule de feu, elle percevait à peine les montagnes aux sommets vert pomme qui se trouvaient juste en dessous. Elle tourna sa tête vers l'est. La lune était déjà là. Et les premières étoiles scintillaient dans le bleu de la nuit qui se répandait à vue d'œil.

Toujours au trot, ils dépassèrent un bar-restaurant en forme de cabanon en bois, copiant le style des tavernes d'autrefois, au milieu des sapins de la forêt. Elle déchiffra l'écriteau en plissant les yeux :

— Le palais... du... prix ? Non. Du Prince. Le Palais du Prince.

Une ampoule s'alluma dans sa tête, et un large sourire se dessina sur ses lèvres.

— Je sais comment on va l'appeler !

— Hm ?

Austin semblait ailleurs. Il n'avait même pas remarqué la taverne. Lui, se concentrait sur la route depuis plusieurs heures. Ses mains et son visage le faisaient encore souffrir. Et même si le paysage lui offrait un cadre idéal et merveilleux, il ne pouvait plus repousser l'idée de vouloir s'arrêter, et de terminer ce voyage qui l'épuisait tant.

— Dis, tu m'écoutes ? J'ai l'impression que tu es toujours à l'ouest...

— Je t'écoute, soupira-t-il.

— On va l'appeler Prince !

Interloqué, il tourna vaguement la tête vers elle.

— Quoi ? Le cheval ?

— Qui tu veux que ce soit d'autre ?

Austin hocha douteusement la tête, peu convaincu.

— Prince, répéta-t-il sur un ton dramatique. C'est un peu bizarre, comme nom.

— Eh bien, n'hésite pas à proposer, si tu en as un meilleur.

Le ton sec qu'elle employa manqua au garçon de lui faire lâcher les rênes.

— Oula...A vos ordres, madame. On l'appellera « Prince ». Prince de quoi, d'ailleurs ?

Lou s'esclaffa et lui donna une tape dans le dos.

— Arrête de te ficher de moi !

Le cheval poussa un léger hennissement, avant de s'engager sur un chemin de terre.

— Tu vois ? Il est d'accord.

— Je ne crois pas, pouffa Austin. Il est sûrement très énervé de ne pas avoir son mot à dire...

Ils reprirent leur route sur un grand sentier, abrité par les arbres et laissant passer les derniers rayons de soleil entre les troncs. Derrière les montagnes, le soleil s'éteignait petit à petit, laissant la nuit prendre son flambeau.

...

Il faisait nuit noire, maintenant. Assis autour d'un feu, les deux vagabonds mangeaient les derniers pains au chocolat d'Alice. Prince était attaché au tronc d'un arbre et broutait bruyamment. Lou se retourna vers lui en soufflant :

— Il ne va jamais s'arrêter, celui-là ?

Austin ouvrit le sac et saisit un des outils de Claude.

— Il faut qu'on lui nettoie les sabots. Tu veux le faire ?

Elle reposa délicatement son morceau de viennoiserie sur sa serviette et se leva à son tour.

— D'accord.

Elle accourut vers lui et tenta de soulever sa patte arrière. Même en tirant avec toute la force de ses petits bras, Prince ne bougeait pas d'un poil.

— Allez ! gémit-elle.

— Stop, marmonna Austin. Au mieux, tu le chatouilles, là.

Il prit sa place, plaça son bras parallèlement à la jambe du cheval, et saisit sa cheville par la main. Ce dernier lui présenta son sabot sans broncher. Austin afficha un sourire fier en roulant des yeux vers la petite fille.

— Wow... Comment tu as fait ?

Le garçon marmonna tout en nettoyant le fer :

— Tu dois placer ton bras de façon à ce qu'il soit obligé de plier la jambe. Tu formes un angle droit avec ton coude, qu'il est obligé de suivre. N'hésite pas à être ferme avec lui, sinon il n'obéira pas.

Elle tenta plusieurs fois, sans succès. Obstinée, elle tirait de toutes ses forces, à en devenir rouge comme une tomate, sous le regard amusé du garçon.

— Ça viendra, un jour...

— Pff, répliqua-t-elle, il est pas sympa, ce cheval.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant