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Le soleil descendait dans le ciel, se couchant sur les belles plaines vertes et désertes. De l'autre côté, on pouvait déjà voir les étoiles et la nuit tomber petit à petit. De gros nuages sombres approchaient du sud. Arrêtés sur un sentier au bord d'un champ, Austin posa la semelle de ses converses rouges sur les gravillons, et claqua la porte derrière lui. Il profita d'un instant de silence, pour fermer les yeux et s'étirer. La chaleur du soleil caressait sa peau. La petite fille retira son bonnet et le jeta sur le capot de la Jaguar. Elle tendait la grande carte dépliée dans ses mains devant elle, écartant ses bras autant qu'elle le pouvait. Elle se mit à faire des rondes sur le chemin, comme pour trouver son orientation. Austin l'observa en silence, laissant son esprit pouffer silencieusement.

Elle s'arrêta soudainement, des pépites dans les yeux.

— On est au centre de la France...

Le garçon balaya les prés du regard, s'étalant à perte de vue.

— Eh bien... oui.

Elle baissa les bras et l'observa d'un air ébahi.

— Mais enfin, c'est génial !

Émerveillée, Lou se mit à sautiller de joie sans s'arrêter. Austin recula et lui fit signe de se calmer de ses mains.

— Si tu le dis, si tu le dis.

Il contourna le véhicule, sortit la guitare et enfila son sweat noir. La brise du crépuscule lui donnait des frissons. Il empoigna l'instrument par le manche, fouilla dans la boîte à gants pour en sortir son carnet vert. La petite fille s'installa contre le capot, passant son index sur la route qu'ils devaient suivre. En lui passant devant, le garçon la charia :

— Tu vas faire ça avec tous les chemins ?

Elle tira la langue. Il s'installa sur la clôture qui délimitait le champ. La guitare calée sur ses jambes, il ouvrit le journal et feuilleta les premières pages. « Take the Long Way Home » de Supertramp. Les tablatures étaient un peu effacées, mais cela ne devait pas poser problème pour Austin. Il laissa glisser ses doigts le long du manche et gratta les premières cordes, les sourcils froncés.

Au bout de quelques minutes, toujours scotchée sur la carte, Lou marmonna :

— Je préférais ce que tu jouais tout à l'heure.

— C'est normal. Là, j'apprends.

Elle replia correctement la carte, marcha jusqu'à lui, les mains dans les poches. Elle le dévisagea, tandis qu'il essayait de se concentrer.

— C'est quoi, ce livre ?

Il plaqua une main sur les cordes pour réduire l'instrument au silence, et baissa les yeux vers le journal.

— C'est pas un bouquin.

Elle s'en empara furtivement et l'ouvrit à la première page. Austin soupira :

— J'en ai besoin, pour apprendre la suite.

Sans même lui adresser un regard, elle énonça, amusée :

— « Le journal du vagabond ». Wow...

Puis, elle se tourna vers le garçon, en gloussant :

— Alors, comme ça on est un « vagabond » ?

— C'est pas le mien. Rends-le-moi, s'il te plaît.

Lou fronça les sourcils, serrant l'objet contre elle.

— Non ! Je veux savoir ce qu'il est écrit.

Agacé, Austin laissa la guitare toucher le sol, le manche contre la clôture. Il sauta et avança d'un pas décidé vers la petite fille, et tendit la main.

— Ce sont des partitions, tu n'y comprendras rien. Allez, donne.

Déçue, elle soupira, lui remettant le carnet d'un geste flasque, et croisa ses bras frissonnants.

— Tu l'as volé, ce truc ?

— Mon professeur de musique me l'a donné.

Le garçon ouvrit la porte côté passager et replaça soigneusement le livret dans la boîte à gants, et se tourna à nouveau vers Lou, l'épaule contre la carrosserie. Elle l'observait, en silence, se grattant le crâne.

— Il savait que tu allais partir ?

Stupéfait, il se mit à rire et répliqua :

— Pourquoi je devrai répondre à tes questions, si tu refuses de faire pareil ?

Le regard de la petite fille s'assombrit. Elle baissa les yeux et buta dans un caillou, avant de murmurer :

— Tout ce qui t'intéresse, c'est ça ?

Austin souffla son mécontentement en secouant la tête. Devant lui, les cumulus approchaient dangereusement.

— Ecoute... S'il y a d'autres enfants comme toi là-bas, il faut que tu le dises.

Sentant les larmes lui monter aux yeux, elle lui tourna le dos en rechignant. Il s'approcha doucement, les mains dans les poches. Elle releva soudainement la tête, se frotta les yeux et demanda :

— On est quel jour, déjà ?

Surpris, Austin bredouilla :

— Dimanche.

— On a jusqu'à mercredi, alors.

— Comment ça ?

A peine eut-il terminé sa phrase que les premières gouttes d'eau tombèrent sur le sentier de gravillons. Au loin, le tonnerre grondait. L'odeur de l'humidité emplit les narines des deux jeunes gens.

Lou secoua la tête en soufflant :

— Je t'expliquerai.

— D'accord. Allez, monte. Ça ne va pas tarder à pleuvoir des cordes.

La petite fille posa une main sur la poignée de la porte, mais s'arrêta. Quelqu'un l'observait, elle en était certaine. Ses yeux pivotèrent en direction du champ. Un vieil homme portant un chapeau de paille se tenait immobile, dans leur direction. Son visage pâle lui fit froid dans le dos.

— Qu'est-ce qu'il veut, lui ?

Austin jeta un coup d'œil et haussa les sourcils.

— J'en sais rien. Il est peut-être pas net.

Il s'installa sur le siège conducteur et démarra.

— Dépêche-toi, sinon tu vas prendre une douche.

Elle obéit et soupira, une fois installée dans le siège :

— J'aimerai bien.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant