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Austin appuya sur le bip blanc et observa le portail s'ouvrir lentement, dévoilant l'allée de graviers clairs menant à la lourde porte de la maison. Il s'engagea sans entrain, le manche de sa guitare serré dans la main. A l'intérieur, personne. Il jeta ses clés sur le cendrier et déposa l'instrument sur le canapé de cuir noir. La télé était éteinte, les stores à moitié ouverts, laissant passer la faible lueur du soleil qui se couchait. Les yeux du garçon se posèrent sur la table de la cuisine. Un saladier rempli de fruits à l'air parfait se tenait là. Austin n'avait aucune envie de manger. Un bout de papier était retenu par un verre à whisky vide. Il s'approcha et s'en empara.

Diner de Prospect ce soir. Tu as des lasagnes dans le frigo. Révise.

Il déchira le papier en silence et le jeta dans la poubelle avant d'ouvrir le frigo.

Pas faim, pensa-t-il. Pas faim du tout.

Son portable vibra. Il le déverrouilla. Un message de David :

C'est bon, Jeanne vient ! Tu arrives quand ?

Austin soupira et quitta la conversation. Sur Instagram, les premières stories étaient déjà tombées. D'abord, celle de Pierre-louis, ouvrant la porte de sa magnifique maison et accueillant les quinze premières personnes en hurlant de joie. En les observant entrer les uns après les autres, Austin remarqua qu'il n'en connaissait pratiquement aucun. L'un d'eux s'arrêta devant Pierre-Louis en souriant et lança :

— Merci, Lucas !

— Ouais, il n'y a pas de quoi...

Austin pouffa en secouant la tête. Quel sketch. Ensuite, c'était au tour de Carla, qui avait insisté pour inviter Camille et Amélie. Elles dansaient ensemble sur la piste, une cigarette à la bouche. Quelques minutes plus tard, David était arrivé, deux bouteilles de champagne à la main, alors qu'il y avait déjà au moins trente personnes qui ne tarderaient pas à rentrer chez eux.

Austin éteignit son téléphone et le remit dans sa poche sans répondre à son ami, avant de monter à l'étage. Il remarqua une trappe au plafond du couloir, et se rappela soudainement qu'il pouvait accéder au toit. Sans réfléchir davantage, il fonça chercher une échelle dans le garage et tira sur la corde qui pendait. Dans le grenier sombre, il ouvrit la lucarne et grimpa sur les tuiles abîmées. En face de lui, le soleil disparaissait bientôt derrière les grands sapins qui bordaient le jardin. Austin s'assit doucement, bouche bée devant l'horizon qui se dessinait devant lui. C'était la deuxième fois de sa vie qu'il grimpait là-haut. La première fois, son père l'y avait emmené pour le jour de ses sept ans. Ce soir-là fut la seule véritable discussion qu'il ait eue avec son père, à propos de tout. Le temps qui passe, les amis, la famille, les filles... Le bonheur que chacun ne cesse de chercher pendant toute sa vie.

A cet âge, son fils l'avait écouté débiter sa tirade en fronçant les sourcils. Ce n'est que lorsqu'il aperçut une larme briller dans l'œil de son père, qu'il comprit que quelque chose n'allait pas. Ce n'était pas normal. Il avait beau se concentrer, impossible de comprendre ce qu'il se passait. En y repensant aujourd'hui, Austin comprenait que Philippe essayait simplement de lui dire qu'il l'aimait. Que la vie n'était pas simple, qu'il n'avait peut-être pas choisi la meilleure, mais qu'il fallait faire avec, quoi qu'il en coûte.

Il ouvrit le carnet vert foncé, la lueur du soleil illuminant ses sourcils dont les poils se balançaient au gré du vent. En laissant glisser les pages entre ses doigts, il repensa à son professeur principal. Notes inquiétantes, peu d'intérêt pour les cours. Ses parents bloqués dans leur routine habituelle. Leurs dîners de prospect le dégoûtaient. Le concept était simple : sympathiser avec des énergumènes pleins aux as autour d'un steak pour mieux se les mettre dans la poche. Son père ne s'intéressant plus à Austin, mais seulement aux notes qu'il rapportait et au code de la route. Il pensa à ses amis, s'il les considérait vraiment comme tel. Monsieur Preto.

Il referma le bouquin et caressa la couverture de cuir en murmurant :

— Qu'est-ce que tu es en train de faire ?

Le soleil disparut derrière la cime du plus grand sapin du jardin, laissant la fraicheur du soir envahir petit à petit la zone. Il replaça le journal dans sa poche et se leva d'un pas décidé. Un dernier regard vers l'horizon, il laissa ses yeux se fermer et sentir une dernière fois le vent lui caresser le visage. Il referma la trappe, entra brusquement dans sa chambre et mit sens dessus-dessous son bureau. En moins de deux minutes, une centaine de feuilles volaient entre ces quatre murs. Il fourra sa carte bleue dans sa poche et s'empara de la housse de sa guitare. Ses yeux se posèrent sur une photo de lui, entouré de ses parents pour le jour de ses sept ans. En observant de plus près, son air d'enfant heureux lui décrocha un sourire en coin. Un chapeau d'anniversaire plein de couleurs sur la tête, il riait de bon cœur et lisait le bonheur sur le visage de ses parents.

Il détacha la photo de son cadre et la plaça dans son porte-cartes, avant d'ouvrir son tiroir de vêtements et un sac. Son duvet était déjà dedans. Il descendit les escaliers en trombe et se rua vers la table de nuit de ses parents. En fouillant dans les tiroirs, il tomba sur une des cartes bancaires de ses parents et sur les clés de voiture de la belle Jaguar Type E de son père. Il récupéra quelques fruits dans un autre sac à dos et son téléphone. Il affichait un autre message de David, contenant simplement un « ? ».

— La ferme... marmonna-t-il avant de plonger l'objet dans sa poche arrière.

Il alluma le garage, dévoilant la belle voiture rouge cerise. Il appuya sur le start and stop. Les phares s'éclairèrent en rafale avant de s'éteindre à nouveau. Il plaça les deux sacs sur le siège passager et sa guitare sur la banquette arrière, avant de s'installer sur le siège. La main sur le volant, il s'immobilisa quelques secondes. Il se mordit les lèvres, et sortit de la voiture.

Dans le salon, il attrapa un crayon dans un bocal et une feuille. Sur le canapé, le silence l'accablant, Austin se prit la tête dans ses mains et commença à écrire...

De retour dans la voiture, il ouvrit la porte du garage et se réinstalla sur le siège conducteur. Même s'il n'avait pas passé le code, il le connaissait, et avait conduit de nombreuses heures avec son père.

Il tourna la clé et jeta le carnet vert dans la boite à gants. Le moteur démarra. Une larme roula sur sa joue, à mesure que l'allée de graviers blancs apparaissait devant lui. Le portail blanc s'ouvrit automatiquement, l'invitant à partir aussi vite qu'il était venu.

Il essuya ses joues d'un revers de la main et la reposa fermement sur le volant.

— Je vous demande pardon...

Il enclencha la première vitesse et pressa la pédale d'accélérateur.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant