Le soir, le commissaire rentra tard du commissariat. Il avait chargé le sergent Boris de ramener la Jaguar à Philippe Delorme. D'après lui, ce dernier avait pratiquement fondu en larmes en la découvrant en un seul morceau. En revanche, les amortisseurs étaient fichus, et les agents s'étaient bien gardés de le lui dire. Il avait ensuite fallu que le courageux sergent affronte la colère furieuse de Delphine, qui leur demanda en boucle pourquoi ils avaient trouvé la voiture et pas leur fils. Elle offrit même une paire de claques à son mari, sous le regard ébahi des policiers, en lui reprochant amèrement de s'intéresser à cette « pauvre bagnole » plutôt qu'à leur fils.
Jenvier gara sa voiture de service dans son petit jardin et claqua la portière en soupirant. Il faisait nuit depuis une heure. Son estomac hurlait à l'agonie. Il posa une main dessus et s'avança vers l'entrée. Par la fenêtre, il aperçut sa femme Diane, qui regardait la télé sur le canapé, un bol de chips à la main. Elle semblait particulièrement concentrée. Le commissaire sourit instinctivement et sortit ses clés de sa poche. Une feuille de dessin était coincée sous son tapis. Intrigué, il se baissa et la ramassa. Un dessin grossier le représentait avec son insigne et un pistolet en main. Il braquait l'arme sur un vigile colorié en marron foncé. Au-dessus du dessin était écrit : Enfoiré de flic !
Il resta quelques secondes immobile, vacillant entre l'incompréhension et une envie de vomir. Puis il secoua la tête, inspira profondément et froissa le papier en boule dans sa main. Il tourna la clé dans la serrure et entra vite à l'intérieur. Entendant la porte grincer, Diane se retourna, un large sourire sur son visage. Elle sauta par-dessus le canapé. Du haut de ses trente-cinq ans, elle gardait une forme olympique.
— Tu es rentré !
Elle sauta au cou de son mari, qui manqua de tomber à la renverse. Il laissa échapper un petit rire. Avant de pouvoir en placer une, elle plongea son regard dans le sien et devint soudain sérieuse :
— Tu as vu les infos ?
— ... Quoi ?
Elle se pencha vers le canapé, attrapa la télécommande et monta le son. Le présentateur du JT se racla la gorge :
« Toujours pas de nouvelles sur l'affaire Assane qui a eu lieu, je le rappelle, cette nuit dans la gare Part-Dieu à Lyon. Les policiers chargés de la surveillance sont soupçonnés d'avoir eu un comportement agressif injustifié envers des individus d'origine africaine. Selon leur chef de section, ils devraient prochainement être mis en examen ».
Les images montraient la victime, un énorme bleu sur le crâne et des éraflures à la mâchoire. Bouche bée, Jenvier laissa tomber la boule de papier sur le sol. Diane se pencha pour la ramasser et la déplia. En comprenant la portée du message inscrit, son regard se décomposa. Elle leva les yeux vers son mari, qui tentait de contenir ses larmes.
— Qu'est-ce qu'il se passe, Diane ? souffla-t-il.
Elle demeura immobile, ne sachant quoi répondre.
— Je ne suis pas entré dans ce métier pour voir ça...
Elle l'enlaça tendrement et posa sa tête contre son épaule.
— Oh, Patrick... Tu es un homme bon. Ne t'en fais pas.
— Coupe ça, s'il te plaît.
Elle appuya sur le bouton « power » de la télécommande et partit jeter la feuille de papier à la poubelle. Lui, s'installa en silence sur le canapé, l'air troublé. Elle le rejoignit illico et lui caressa le dos en retirant son manteau.
— N'écoute pas ces gens débiles qui mettent tout le monde dans le même panier.
Il haussa les épaules :
— Et s'ils décident de s'en prendre à moi ? Comment je fais pour montrer que je ne suis pas comme ça ?
— Tu n'as pas à le faire, murmura-t-elle. Hormis ton travail, tu n'as rien à faire.
— Oui, eh bien... parfois, je n'y arrive pas !
Elle posa une main délicate sur son cou et lui jeta un regard insistant.
— Patrick... Tu as aidé des dizaines d'enfants, aujourd'hui.
Il hocha la tête, puis soupira, un sourire triste au bout des lèvres :
— Et si ça ne suffisait pas ?
— Moi, ça me suffit.
Elle déposa ses lèvres contre les siennes, et l'embrassa langoureusement, le laissant progressivement s'allonger sur le canapé. Le commissaire sentit toute son angoisse s'échapper dans l'air et disparaître, loin de leur maison.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...