Dans une pièce froide éclairée par une lampe à huile, Jane ouvrit un petit frigo et en sortit deux canettes de Dr Pepper, qu'elle posa précipitamment sur une table en bois qui trônait au milieu. Les canettes manquèrent de tomber sur le sol, rattrapées in extremis par la jeune fille. Elle tira trois chaises taille enfant et haussa les épaules.
— Désolée... C'est tout ce qu'on a.
Elle se retourna vers des dizaines de vêtements en tas sur un vieux matelas.
— Ils sont propres, si jamais vous en avez besoin. Je vois que vous n'avez rien pour vous changer.
Austin avait du mal à la croire. Il se racla la gorge et hocha la tête malgré tout.
— Merci. S'il y a une douche, aussi...
— Oh, oui... renchérit Lou. On en a besoin.
La jeune fille désigna de l'index une porte sur la gauche, munie d'une fenêtre ronde qui rappelait étrangement celle des salles de classes pour maternelle. La petite jeta un regard suppliant au garçon. Celui-ci soupira en secouant la tête.
— D'accord, vas-y en première.
— Ouais !
Elle se rua sur la pile de vêtements. Une odeur de lessive flottait dans l'air. Jane se laissa tomber sur une des chaises, se frotta les yeux et invita Austin à faire de même. Elle empoigna une des canettes et l'ouvrit d'un geste souple de son pouce et la fit glisser jusqu'à lui en baillant.
— Je parie que tu n'as jamais goûté ce truc.
— Non... marmonna-t-il. C'est quoi ?
— Comme le coca, mais moins cher. Le petit commerçant du coin vend ça un clou.
Lou trottina jusqu'à la douche, une petite pile de vêtements dans la main. Austin la suivit du regard avant de reconcentrer son attention sur Jane. Il avait beau plonger ses yeux dans les siens, impossible de savoir si c'était le ciel ou la forêt qui prenait le dessus, en dessous de ses pupilles. Sentant soudain un petit cocon dont il ignorait l'existence éclore dans son ventre, il se mordilla les lèvres et répéta :
— ... C'est comme le coca ?
— Oui, enfin... Il faut imaginer, quoi.
Le garçon souleva le cylindre de métal glacial dans ses mains et l'étudia à la façon d'un scientifique sur le point de trouver un vaccin contre le cancer.
— Mouais. Il n'y a que la couleur qui ressemble, c'est ça ?
L'adolescente lâcha un brusque éclat de rire. Surpris, Austin manqua de faire tomber la boisson sur ses vêtements à peine secs. Soulagé de constater que ce n'était pas le cas, il observa Jane d'un air ébahi. Elle avait la tête rouge comme une tomate, et ne semblait pas en mesure de reprendre son souffle, tant son rire l'envahissait. Devant un énergumène aussi spécial, il se surprit à sourire, et réalisa que cette fille semblait bien loin du matérialisme et du paraître auxquels ses camarades de classe aspiraient.
— Excuse-moi ! Allez, bois. Vite !
Le garçon haussa les épaules, avant de porter enfin la canette à ses lèvres. Il sentit le liquide gazeux rouler sur sa langue râpeuse, dévaler sa gorge pour rafraîchir tout son corps. Un frisson le parcourut de la tête aux pieds. Son bras reposa doucement la boisson. Il déglutit, concentré pour percevoir tous les arômes présents dans sa bouche. Finalement, il secoua la tête en riant.
— Ça n'a vraiment rien à voir avec le coca.
Elle acquiesça, puis se frotta énergiquement les bras, emmitouflés dans son pull vert, en grinçant des dents.
— Il fait pas chaud, ici. On va se dépêcher. D'où est-ce que vous venez ?
Austin manqua de pouffer. Dire qu'il venait de Paris sans but particulier... Lui-même avait du mal à y croire. Il haussa les épaules, ne sachant par où commencer. Il se raidit un instant, renonçant à tout déballer. Elle ne le reconnaissait pas. Cela faisait une semaine que leurs têtes passaient à la télévision. Alors, pourquoi ?
— On vient de Paris, bredouilla-t-il.
Jane écarquilla les yeux.
— Wow. Mais... pourquoi vous êtes passés par Mornas ? Et puis, pourquoi venir ici ?
Un air simplet sur le visage, il se contenta d'hausser les épaules.
— Je n'en sais rien...
Charmée, Jane cherchait ses mots en secouant la tête, et croisa les bras.
— C'est trop cool, ça... Et, vous allez quelque part ?
Austin avala une nouvelle gorgée.
— Je n'en sais rien non plus.
— Génial... murmura-t-elle en levant les yeux vers le plafond.
Le garçon l'observa. La tête dans les nuages, elle arborait un sourire d'enfant rêveur. Doucement, ses sourcils se froncèrent. Elle claqua des doigts et demanda :
— Pourquoi mon père vous a donné mon adresse ?
— Oh... Hum. Eh bien...
La petite fille apparut brutalement, claquant la porte menant à la douche. Ses longs cheveux blonds ondulés avaient presque tourné au brun. Elle portait un tee-shirt rose avec une tête de panda dessus. Austin pouffa. Elle répliqua d'un air exaspéré :
— Ne te moque pas. C'est tout ce qu'il y a à ma taille.
Jane la toisa et marmonna :
— Hm. C'est sûrement la petite sœur de Zinedine qui l'a oublié. Elle a huit ans.
— Et tu rentres encore dedans, renchérit le garçon.
— Ne l'écoute pas, souffla la jeune fille. Tu es très jolie, avec.
Austin se leva et se dirigea vers la pile de vêtements.
— Je peux y aller ?
— Bien sûr, acquiesça Jane en se levant à son tour. Je vais monter vos affaires.
Le garçon hocha la tête, trouva ses vêtements de rechange et s'engouffra dans le petit couloir menant à la douche. Bien plus chaud et couvert de vapeur, il sentait déjà qu'il profiterait d'une des meilleures douches de sa vie.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...