Sous un ciel quelques peu assombri et humide, le trio se retrouva au trot sur une route goudronnée plus glissante qu'elle n'y paraissait. Tout autour, des sapins, bouleaux et autres sortes d'arbres les entouraient. C'était comme si rien n'existait, hormis cette route, et sa direction brumeuse. C'est avec émerveillement que Lou remarqua des feuilles rougeâtres et orangées au bout des branches et jonchant le sol par dizaines. C'était presque comme un tapis de roses que l'on aurait disposé de part et d'autre de la route. L'air peinarde sur le dos d'Azia, Jane se retourna vers eux :
— On est entrés dans un gros nuage. C'est pour ça qu'il y a autant de brouillard !
Sceptique, Austin observait lui aussi, ce tas de feuilles mortes qui se laissait porter par le vent.
— C'est bizarre... On n'est pas en automne, pourtant.
La jeune fille expliqua :
— Quand il pleut, par ici, le mistral est toujours au rendez-vous. Je suis plutôt surprise que les arbres soient toujours aussi bien habillés, après le temps de chien qu'on a essuyé pendant presque une semaine...
Sans voix, Lou ne pouvait décoller ses yeux bleus du décor de rêve qui s'offrait à elle.
— Allez ! S'exclama Jane en faisant accélérer Azia, le premier à sortir du brouillard a gagné !
En l'observant s'éloigner devant eux, Austin soupira, échangeant un regard exténué avec Prince.
— Elles ne sont jamais fatiguées, alors ?
...
Après une longue heure alternant galop et trot, le soleil s'était enfin décidé à apparaître devant eux. Il se révéla si éblouissant que le trio peinait à ouvrir les yeux. Le ciel toujours chargé de quelques nuages légers et blancs comme neige, saturait d'autant plus l'exposition à laquelle ils étaient confrontés. Jane s'arrêta un instant, ajustant son chapeau blanc devant ses yeux mélangeant la couleur des arbres et du ciel. Elle ouvrit la sacoche et en sortit le walkman sur lequel elle brancha les écouteurs, et pressa le bouton de l'appareil. Les premières notes entraînantes de « The Passenger » d'Iggy Pop se mirent à tourner. Satisfaite, elle reprit sa course, suivie de près par les deux vagabonds, au milieu de la gigantesque plaine qui surplombait la ville déjà loin. De l'autre côté du pré de dame d'onze heures blanches, l'herbe basse semblait pouvoir toucher le ciel. Ce n'est qu'en relevant la tête, que la jeune fille au pull couleur d'émeraude s'enchanta devant les imposantes collines et montagnes des Cévennes, qui les toisaient depuis leur imposante grandeur. Les immenses pics aux pointes paraissant si aiguisées trônaient là, indéplaçables, quoi qu'il puisse arriver. Jane retira un instant son couvre-chef pour contempler cet horizon silencieux, qui semblait vouloir lui dire tant de choses en même temps. Prince et ses deux cavaliers s'approchèrent au pas, déconcertés à leur tour. Pendant quelques instants, ils restèrent tout trois silencieux. La jeune fille se racla la gorge, invita son beau cheval blanc à reprendre sa course et murmura :
— Ce sera encore mieux quand on sera tout en haut.
Même si Austin eut l'impression de simplement devoir tendre la main pour toucher les montagnes, elles se révélaient bien plus loin que prévu. Après deux heures de trot, ils se trouvaient toujours sous le soleil tapant, incapables d'échapper à sa surveillance. Sentant les gouttes de sueur couler le long de sa tempe, Austin se retourna vers Lou et souffla :
— Tu peux me passer l'eau ?
Elle s'exécuta, sans pour autant s'inquiéter de la chaleur. Elle conservait son bonnet sur la tête. Le garçon but six ou sept gorgées, sous ses yeux ébahis. Puis, il lui tendit la petite bouteille :
— Bois.
— Ça va, j'ai pas soif.
— Bois quand même. Allez.
— Mais pourquoi ?
Le garçon souffla tout son agacement au-dessus des oreilles de Prince et répliqua d'un ton épuisé :
— Pour ne pas faire d'insolation.
— Ne pas faire de quoi ?
— Contente-toi de boire, bon sang.
A quelques mètres devant eux, Jane observait les alentours en silence. Cela lui rappelait l'ancienne maison de ses parents, en Beaujolais. Des champs de vignes et de salades s'étendaient à perte de vue. Quelques arbustes au milieu des rangées ordonnées venaient embellir le paysage, et mettre en valeur les maisons en pierre perdues au milieu de la campagne. Tout comme les arbres plus tôt dans le brouillard, les feuilles des vignes viraient au rouge orangé, accueillant le soleil qui perçait progressivement la fine couche de nuages séparant ses lueurs de la terre. Prise de nostalgie, la jeune fille ravala son air morose et se retourna vers les autres.
— Vous n'avez pas faim, vous ?
Les deux vagabonds se retinrent de pousser un cri de victoire. Austin fit s'arrêter Prince et descendit sans demander son reste. Il porta la petite fille jusqu'à ce qu'elle touche le sol et soupira en essuyant son front d'un revers de la main :
— Je me demandais quand tu nous poserais enfin la question...
— Désolée, bredouilla-t-elle en riant, je n'ai pas trop conscience de l'heure qu'il peut être.
Elle approcha d'un petit arbre et y attacha les rênes d'Azia. Austin l'imita et balaya l'endroit du regard.
— C'est super beau, ici...
— Bienvenus dans l'Hérault.
Lou se laissa tomber par terre, en plein milieu de l'herbe, sans même prêter attention à la propreté du mètre carré sur lequel elle s'asseyait. Austin avait remarqué qu'elle parlait moins que d'habitude, aujourd'hui. Cela lui rappelait étrangement le trajet en train après les événements de la gare. Mais cette fois, ce n'était pas pareil. Il ne décelait aucune tristesse dans son regard. Simplement, de la contemplation. L'émerveillement pour la seule chose qui était essentielle, et que la plupart des gens oubliait.
Jane pointa du doigt un point en hauteur et interrogea Austin du regard :
— On ne serait pas mieux, là-haut ?
Le garçon souffla et secoua lentement la tête en observant Lou.
— Je pense qu'elle ne se relèvera pas avant d'avoir mangé, si tu veux mon avis...
VOUS LISEZ
Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...