Dimanche matin, le réveil de Delphine sonna aux alentours de dix heures. Elle avait l'habitude de passer ses dimanches à faire la grasse matinée, dans son peignoir blanc au milieu de tout ce ménager blanc. Philippe devait être parti tôt, le matin, pour une conférence importante à Nantes. En ouvrant les yeux, la première chose qui vient à l'esprit de Delphine, était la tête qu'avait tiré Alphonse après l'intervention d'Austin. Sans pouvoir se retenir davantage, elle partit dans un fou rire incontrôlable, tentant tant bien que mal de se contenir, la main sur la bouche. Elle tira doucement la couette. L'ombre des rideaux blancs qui se balançaient doucement au gré du vent l'apaisaient. Imaginant déjà le grand verre de jus d'orange pressées qu'elle allait se préparer, l'eau lui vint à la bouche. Elle descendit les escaliers et, constatant que la chambre de son fils était entrouverte, appela :
— Austin ! Tu viens déjeuner ?
Aucune réponse. Au loin, son regard se posa sur un bout de papier, déposé sur la table du salon. Elle eut un haut-le-cœur, et le sentit tambouriner, à mesure qu'elle s'approchait. Dans la précipitation, elle faillit le déchirer en tentant de l'ouvrir. Elle lut sur ses lèvres :
Papa, Maman,
N'appelez pas la police, s'il vous plaît. J'ai juste quelque chose à faire. Je me suis permis d'emporter un peu de lasagnes, mais le reste est au frigo. Je serai de retour ce soir (promis).
Austin
L'angoisse de Delphine s'évapora aussi rapidement qu'elle était venue. Elle reposa doucement le papier, prit une grande inspiration et ferma les yeux. Elle se tourna vers la cuisine, saisit deux belles oranges scintillantes à la lueur du soleil, et commença à les presser en sifflotant un de ses airs préférés.
...
Le garçon arriva enfin devant l'école de musique, complètement essoufflé. Avant de fermer la porte de la maison, il avait entendu sa mère rire soudainement, si fort qu'il en eut peur. La guitare électrique sur le dos, il posa les mains sur ses genoux en haletant. Le poids n'était pas le même que lorsqu'il transportait sa guitare sèche. C'était comme soulever une haltère de dix kilos, maintenant qu'il y pensait.
Il sonna d'un doigt tremblant. Quelques instants plus tard, le portail s'ouvrit. Il devina la silhouette de son professeur, habillé d'un beau polo bleu ciel marcher d'un pas vigoureux jusqu'à lui. Il lui tendit la main, un sourire radieux au bout des lèvres.
— Tu es là. Parfait ! Suis-moi, allez !
Sans demander son reste, Austin obéit. Monsieur Preto le mena jusqu'à la grande salle. Sur l'estrade se tenaient les musiciens du concert, le toisant de haut en bas. Le guitariste Charles Laren replaça ses lunettes de soleil sur son nez et pouffa :
— C'est lui ?
Il se tourna vers ses collègues, Hugo et Sam.
— Un lycéen, les gars ! On est mal...
— Croyez-moi, grinça Preto entre ses dents, vous n'êtes pas mal du tout.
Désorienté, Austin alterna son regard entre le groupe et son professeur. Il balbutia :
— Que... Qu'est-ce qu'il se passe ?
Depuis la scène, Charles explosa :
— C'est un gamin qui va remplacer John ?! Vous vous foutez de nous !
Le garçon jeta un regard inquiet à Elvis.
— De quoi est-ce qu'il parle ?
Hugo laissa son doigt défiler le long des touches blanches du piano, produisant un bruit tonitruant. Les visages se tournèrent vers lui. Il replaça sa casquette sur sa tête et haussa les épaules en dévisageant son collègue :
— Et pourquoi pas ? rappelle-moi à quel âge tu as commencé, Charles ?
Ce dernier se pencha vers lui et pointa un doigt menaçant entre ses deux yeux.
— On parle d'un concert, bon Dieu !
— Je sais. Je pense qu'on devrait laisser sa chance au gamin. Regarde-le.
— Quoi ? grogna le guitariste.
Hugo se leva et désigna Austin de la main droite en souriant.
— C'est le gamin de la télé. Il est parti avec la voiture de son père... et sa guitare. C'est tout. Tu ne penses pas qu'on devrait lui laisser le bénéfice du doute ?
Le garçon se tourna vers son professeur et secoua la tête en chuchotant :
— Attendez... Je n'ai jamais demandé ça, moi !
Preto se tourna vers le groupe de rock et leva les mains en l'air, avant de déclarer :
— Il va me montrer, à moi. Je déciderai s'il est prêt ou non. D'ici là, vous n'avez pas besoin de lui pour vous entraîner. Allez.
Sur ces mots, il fit signe à son élève de le suivre dans une pièce d'enregistrement de studio. Sans un mot, il se racla la gorge, débarrassa Austin de sa guitare et la brancha sur un amplificateur, lui-même relié à un casque audio, qu'il passa autour de son cou. Complètement éberlué, le garçon l'observa faire toutes ses magouilles bouche bée, et marmonna :
— Je n'y comprends rien...
Preto laissa échapper un éclat de rire :
— Tu te souviens de John, le guitariste, que tu as vu, il y a un peu plus de deux semaines ?
L'intéressé hocha mécaniquement la tête.
— Crois-le ou non, il s'est cassé le bras. Une mauvaise chute de vélo, samedi dernier. Le jour-même où tu es revenu.
Il s'arrêta sur ces mots et fronça les sourcils, observant son élève dans le blanc des yeux.
— Tu n'y vois pas un signe ?
— Heu... Je n'en sais rien.
Le professeur posa ses mains sur ses épaules et articula :
— Moi, j'en vois un. Allez, assieds-toi là.
Austin avança d'un pas nerveux jusqu'au tabouret rond et orné d'un petit coussin en mousse qui l'attendait. Il s'assit, et empoigna la belle Stratocaster, des étoiles dans les yeux. Il n'en revenait toujours pas, même après une semaine, de pouvoir toucher un objet si particulier.
Preto croisa les jambes et enfila son casque sur ses oreilles, avant de hocher la tête.
— Je t'écoute.
VOUS LISEZ
Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...