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Dimanche 12 avril. Le soleil brillait dans le ciel, s'élevant vers le zénith. Aucun nuage ne s'invitait dans l'océan de ciel bleu, aujourd'hui, demeurant reflet parfait de la mer. Les bourrasques transportèrent quelques grains humides de sable doré chatouiller les paupières d'Austin. Il ouvrit ses yeux, mélange de cuivre et de feu, et s'étira longuement, tourné vers le ciel. Enfin, il déposa ses mains jointes sur son torse et soupira d'un air pensif. Peut-être y était-il allé fort, la veille. La petite semblait si heureuse d'avoir enfin pu voir à quoi les frontières de la terre ressemblaient. Et lui, il avait tout gâché.

Il tourna lentement la tête vers la droite, constatant qu'il ne restait plus que des braises froides du feu qu'il avait démarré. Le cheval était toujours attaché au même endroit. Lou n'était plus allongée sur le sable. Ni nulle part ailleurs. Le sang du garçon ne fit qu'un tour. Il se leva nerveusement et balaya la plage du regard, avant de s'époumoner :

— Lou ! LOU !

Seule l'écume des vagues frottant contre le sable répondit à son écho. Austin insista durant de longues minutes, jusqu'à en perdre son souffle. La voix écorchée, il se laissa tomber sur le sol, vidé de toute force. Désespéré, il laissa ses larmes couler, puis serra les dents dans un gémissement brutal.

— T'es trop con. T'est vraiment trop con, putain...

En relevant la tête, dévoilant ses yeux rougis et sauvages, un éclair lui traversa l'esprit. Le garçon s'élança vers l'eau et arracha de son portefeuille les billets restants. Sans réfléchir davantage, il les déchira tous dans un hurlement de rage, et les jeta au loin, dans la mer.

— Tout ça n'a servi à rien ! Bravo ! Tu peux être fier !

Austin glissa une main dans sa poche arrière et en sortit abruptement le journal vert. Il observa sa couverture durant de longues secondes, caressant le cuir teinté de son index. La rage reprit le dessus. Il serra le carnet dans sa main et releva le bras au-dessus de sa tête, prêt à l'envoyer dans les profondeurs pour toujours.

Il chancela, serra les dents et se retourna pour le jeter violemment dans le sable.

— Merde !

Il se laissa lourdement tomber sur le sol, haletant. Les vagues venaient et repartaient, trempant un peu plus ses vêtements à chaque fois. Une mouette passa devant la boule de feu et disparut au-dessus des yeux du garçon. Intrigué, pour une raison qui lui échappait, il se releva, et constata d'un air amusé que l'animal s'était posé sur la couverture du carnet.

— T'essayes de me dire un truc ? marmonna Austin, soudain certain qu'il devait perdre la boule.

L'oiseau s'envola aussi sec. Une nouvelle brise déchaînée ouvrit le journal et fit défiler les pages à la vitesse de la lumière. Le vent disparut, laissant le carnet ouvert à quelques pages du dos du bouquin. Le garçon avança en grelottant et se pencha sur la page ouverte. Il posa sa main dessus et fronça les sourcils.

— C'est pas des partitions, ça...

Il s'assit en tailleur, et porta le journal à ses yeux.

06/04/2020

Cher Journal,

Ça me manque de ne plus écrire ma journée. Surtout qu'avant, elles se ressemblaient toutes. Même si les jours où on se voyait avec Alia, étaient mes préférés. La bonne nouvelle, c'est que j'ai quitté cet orphelinat de merde ! Je regrette juste qu'elle n'ait pas pu venir avec moi...

Là, je suis dans un chalet perdu en plein milieu d'une montagne, avec Austin et Andry, un vieux qui porte une veste franchement moche. En plus, je ne comprends rien aux livres dans sa bibliothèque. Je préférais ceux du foyer, pour le coup. Et je ne pensais pas que c'était possible. Par contre, il a un mug rempli de stylos dans la chambre. Si j'en prends un, je pense qu'il s'en remettra. Austin, c'est mon compagnon de voyage. On a décidé d'aller voir la mer. D'ailleurs, c'est dans son journal que j'écris (oups). J'ai lu un peu les pages d'avant. Ce sont des partitions de guitare. J'y comprends rien. Mais Austin, lui, il est super fort. Je me demande s'il s'en rend compte.

Lou.

08/04/2020

Ça ne va pas du tout. J'ai très mal à l'œil. J'ai froid. Austin ne répond pas quand je l'appelle. Mais il respire. Je pense qu'il est tombé dans les pommes. Il y a un policier qui m'a aidé à le déplacer. Il ne m'a pas reconnue, je crois. Il m'a dit qu'il revenait vite. On est par terre, dans la gare. J'ai peur qu'ils reviennent. Ils sont méchants. Ils ont volé notre argent.

Il y a plein de gens par terre, près de nous. Ils n'ont pas l'air en forme. Ça doit faire un moment qu'ils sont là. Je n'ai pas envie de devenir comme eux. Je commence à me demander comment on pourra rejoindre la mer. Réveille-toi, Austin.

Lou.

10/04/2020

Cher Journal,

Cette fois, j'écris le matin. On est dans un bel hôtel en pierre et en bois. La dame qui s'occupe de nous est très gentille, et ne nous demande pas d'argent. J'espère que je ne lui ai pas cassé son téléphone... Il fait beau, dehors. Je suis assise sur le rebord de la fenêtre, j'ai une vue imprenable d'ici !

J'ai du mal à croire que tout soit rentré dans l'ordre. Qu'on ait retrouvé un lit et un toit, loin de cette gare. Il y a des gens qui nous ont aidé, là-bas. Je n'ai pas compris pourquoi les policiers les ont frappé, ensuite. J'ai eu très peur. Mais maintenant, c'est derrière nous. Je pensais que dehors, tout le monde était des cons. Mais en fait, la plupart sont vraiment gentils.

Au moment où j'écris, Austin ronfle comme un loir... Je ne crois pas qu'il ait compris que j'écrivais dans son carnet. Sinon, il se serait sûrement moqué de moi. Derrière ses grands airs, il n'est pas très fute-fute. Mais bon, lui aussi il est gentil. Je me suis toujours plainte à mon père de ne pas avoir eu de grand frère. Je crois que j'imagine ce que ça peut faire d'en avoir un, maintenant.

J'aimerais tellement que tu puisses voir ce que je vois, Alia. Il y a des champs à perte de vue, sous le soleil. Et puis des arbres. Comme ceux du jardin de sport. Oh, et il y avait aussi un piano, dans la gare ! Ça m'a fait penser à toi. Je vais bientôt voir la mer, Alia. De ce que j'ai compris, c'est comme le lac, derrière les dortoirs, mais en plus grand. Et aussi, ce n'est pas de l'herbe, mais du sable qui borde l'eau. Je regrette juste que tu ne sois pas avec moi. Mais je viendrai te chercher, et on y retournera ensemble, ça te va ?

Lou.

11/04/2020

Cher Journal,

Je dois faire vite ! Austin est juste allé acheter des sandouichs dans la boulangerie d'en face. J'essaye d'écrire sur le dos de Prince, mais il n'arrête pas de gesticuler. Il y a un tas de mouches qui lui tourne autour sans arrêt...Au fait, Prince c'est notre cheval. Grâce à lui, on arrivera à la mer dans la journée ! Il est un peu grognon, mais reste calme la plupart du temps. Bon, je dois m'arrêter là, peut-être que je reprendrai plus tard !

Lou.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant