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Les premiers rayons du soleil caressèrent les joues et les cheveux blonds de Lou. Deux oiseaux discutaient, perchés au sommet de deux sapins. Elle ouvrit doucement les yeux, appréciant le contact de sa peau sur le coussin blanc moelleux. Une chambre pour elle toute seule. Sans le brouhaha du reste des orphelins, ou les cris des encadrants, l'empêchant de dormir seulement quelques minutes de plus. Ici, il n'y avait que le vent et les oiseaux. Désorientée, elle chercha un quelconque cadran sur les murs, mais il n'y avait rien. D'habitude, on la secouait, pour qu'elle se lève à six heures pile. Et si elle n'était pas habillée à six heures cinq, elle passait un sale quart d'heure.

Les murs de planches en bois étaient nus. Seul un petit miroir faisait face à son lit. Elle s'en approcha, et tira la langue. Ses cheveux étaient tout ébouriffés, et elle avait un épi sur la gauche. La petite fille se frotta les yeux en soufflant. Le réveil était plus complexe qu'elle ne l'aurait pensé. En se penchant sur l'autre lit, elle récupéra les vêtements que lui avait proposé Andry la veille, et les enfila.

Une fois les chaussettes enfilées après le reste, elle ouvrit la porte, découvrant le lit d'Austin défait. En faisant attention à ne pas glisser, elle descendit doucement les escaliers de bois. La baie vitrée était ouverte. Lou se figea entre deux marches, son visage s'illumina. Dans l'encadrement donnant sur l'extérieur, la montagne de poudre blanche qui leur faisait face était plus resplendissante que jamais. Les branches de sapins verts humides se mêlaient au froid ambiant, laissant les gouttelettes s'écraser contre le sol. Le soleil frappait de tout son poids sur le petit globe, perdu au milieu du ciel bleu. Une vaste brume couvrait le pied de la montagne, en laissant seulement découvrir le sommet. Ses yeux bleus écarquillés, la petite fille imagina un instant un chemin tracé au milieu du nuage, sur lequel elle pourrait marcher, courir... ou le traverser. Ils se tenaient au-dessus du brouillard, et ne faisaient presque plus qu'un avec les cieux. Scotchée par la beauté de ce qui lui était donné de voir, elle sentit son cœur la réchauffer. Les souvenirs de la ville de béton étaient déjà loin derrière elle. Assis sur un tabouret et adossé à la petite table en bois qui trônait sur le balcon, Austin se tourna vers elle et sourit.

— La marmotte se réveille ?

Elle s'empressa de descendre le rejoindre.

— Quelle heure il est ?

— Neuf heures, c'est tout.

Elle semblait soulagée.

— Et tu es déjà debout ?

Il haussa les épaules, joignant ses mains derrière sa tête.

— Je n'avais pas sommeil.

Il marqua une pause, puis désigna la cuisine de ses mains.

— J'ai fait du chocolat chaud, si tu veux.

— Wow, il a le matos pour faire ça lui ? ironisa-t-elle en se dirigeant vers la cuisine.

Austin se retourna vers la balustrade. En dessous, Andry était debout, lui aussi. Depuis un moment, probablement. Il portait toujours sa chemise à carreau de bûcheron, et des gants noirs épais. Un bonnet à pompon rouge coiffait sa tête. Une hachette dans la main droite, il reprenait son souffle. Le garçon pouvait le voir, à la quantité de buée qui s'échappait de sa bouche. Au bout de quelques secondes, il reprit une bûche, qu'il positionna sur le tronc d'arbre, puis il la sépara en deux parties symétriques. Austin pencha un peu plus la tête. Contre le mur, sur la gauche du vieil homme, les morceaux de bois étaient entassés par dizaines. Lou posa brusquement son bol sur la table. Le garçon manqua de sursauter. Elle s'assit, un sourire aux lèvres. Elle aussi, avait mis son bonnet. En revanche, ils étaient en tee-shirt. Le soleil était suffisamment chaud, même à cette heure-ci. La petite fille porta le bol à ses lèvres, et ferma doucement les yeux, sentant le liquide parcourir sa gorge et réchauffer son corps. Elle le reposa et passa une main derrière sa nuque, le pouce appuyé contre un de ses bleus.

— Ça te fait encore mal ? demanda Austin.

Elle soupira :

— Non. Ça va.

Il se tourna vers l'horizon, dessinant dans son esprit les ombres des montagnes au loin, s'étendant à perte de vue.

— On est mardi, aujourd'hui.

Lou déglutit. Elle voyait très bien où il voulait en venir. Elle se racla la gorge en se mordillant les dents. Le garçon plongea un regard grave dans le sien.

— Il faut que tu me racontes...

— D'accord.

Elle prit une grande inspiration, vida son bol d'un trait et posa des mains tremblotantes sur la table. La grosse voix revenait dans sa tête, maintenant qu'elle y pensait. Elle ne voulait plus la lâcher, ne faisant que grandir et beugler de plus en plus fort. La petite fille serra les dents. Elle n'avait qu'un choix, résister ou s'arracher les cheveux. Après quelques secondes, elle chassa le cauchemar de sa tête et murmura :

— Les gens qui nous surveillaient... Ils sont méchants. La directrice les recrute comme ça, je ne sais pas pourquoi. Elle est mauvaise, elle aussi.

Lou marqua une pause, sentant les larmes lui monter aux yeux. Son cœur serré lui faisait mal. Elle déglutit, tentant de contrôler ses lèvres chancelantes.

— Mais il y a une femme. Chargée de nous surveiller le mercredi. Elle est méchante, mais... elle est...

Les yeux gorgés de larmes, elle ne put se retenir plus longtemps.

— Violente.

La petite fille éclata en sanglots, la tête basse. Austin posa deux mains réconfortantes sur les siennes, les serrant pour faire cesser les tremblements.

— Tout va bien...

La voix d'Andry résonna jusqu'au balcon :

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Le garçon se leva nerveusement et se pencha précipitamment vers le vieil homme :

— Rien, rien ! Elle a juste fait un cauchemar.

Sur ces mots, il retourna auprès d'elle et posa ses mains sur ses joues, séchant ses larmes avec ses pouces.

— Tu n'y es plus. C'est fini. Tout va bien, maintenant. Regarde-moi.

Elle obéit, dévoilant ses yeux brillants d'un bleu saphir qui laissaient encore couler quelques gouttes. Demeurant immobile quelques secondes, elle ne tint pas plus longtemps et s'effondra dans ses bras. Surpris, Austin hésita avant de l'entourer de ses bras, bouche bée.

— Ne t'inquiète pas. Je ne t'y ramènerai pas.

Le magnifique nuage blanc qui les séparait de lamontagne disparaissait petit à petit, remplacé par des tonnes de fumées polluantesà la teinte noire. Saisi par le chagrin à son tour, il pria pour que tousvoient et réalisent, ce dont il fut témoin à ce moment précis.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant