Lundi 6 avril, sept heures du matin. Les rayons du soleil pénétraient les rideaux blancs, à travers la fenêtre de la grande chambre. Posé sur la table de nuit en bois lisse, le téléphone de Philippe Delorme vibra. Il plissa les yeux, en se retournant dans le lit et poussa un gémissement d'agacement. Delphine, qui dormait à poings fermés, recroquevillée sur elle-même, se retourna délicatement vers lui. Il attrapa le portable et déchiffra sur l'écran lumineux « Commissariat ». Philippe décrocha dans un soupir :
— Vous savez quelle heure il est ?
— Monsieur Delorme, quelqu'un a vu votre fils.
— Quoi ?
Il bondit hors du lit, assis au bord. En un éclair, toute envie de se rendormir s'était volatilisée. Sa femme se pencha vers lui, glissant une main le long de son épaule :
— C'est Austin... ?
Il lui fit brusquement signe de se taire, resta silencieux quelques secondes, puis raccrocha. Sans se laisser une seconde de répit, il se leva et s'habilla dans la précipitation. Delphine haussa le ton :
— Tu vas me dire ce qu'il se passe ?
— Un témoin dit avoir aperçu Austin. Je dois aller au commissariat.
— Je viens avec toi !
— Non. On a beaucoup de retard sur notre boulot. Reste ici, je te raconterai tout quand je rentrerai.
Il claqua la porte derrière lui, dévala en trombe les escaliers et attrapa une pomme qu'il conserva entre les dents le temps de mettre ses chaussures.
...
Les genoux tremblants, Philippe attendait sur une chaise au dossier en mousse aux couleurs du commissariat. Une silhouette sortit de la salle d'interrogatoire. Le père d'Austin plissa les yeux, reconnaissant au fil des secondes qui s'écoulaient, Elvis Preto.
Il bondit de son siège et le pointa agressivement du doigt :
— Vous ! Qu'est-ce que vous avez dit à mon fils ? Qu'est-ce que vous lui avez fait ?!
Le commissaire Jenvier s'interposa en le retenant par les épaules :
— Du calme, du calme.
Le professeur de musique avait un mouchoir dans la main, essuyant une poignée de larmes qu'il avait laissé couler, quelques minutes plus tôt. Il ne fit même pas attention à l'homme qui le menaçait, et se contenta de sortir dehors, d'un air dépité. Mais Philippe ne lâcha pas l'affaire :
— Dix ans que je paye ces putains de cours, et c'est comme ça que tu me remercies ?
Jenvier plaqua ses deux mains contre ses épaules et beugla :
— Vous êtes dans un commissariat ! Tenez votre langue, bon sang !
L'homme d'affaires recula d'un pas, ajustant sa veste froissée, et laissa son pouls se calmer. Le commissaire plongea une main dans sa poche, en indiquant la salle d'interrogatoire de l'autre :
— On y va ?
...
Philippe pénétra dans la petite salle privée de toute fenêtre. Une dame était assise sur une chaise, les mains jointes sur la table. Agée, une veste rose et élégante sur les épaules. Elle le toisait d'un air supérieur, ce qui surprit grandement l'homme d'affaires.
— Qui elle est, celle-là ?
Le commissaire se racla la gorge en s'installant en face d'elle, réajustant ses lorgnons :
— Je vous présente madame Dorothée Lavigne.
— Mademoiselle, corrigea celle-ci.
— Qu'est-ce que ça a à voir avec Austin ?
— Asseyez-vous, monsieur Delorme.
Il obéit, prenant la dernière chaise vide aux côtés de la vieille femme. Jenvier ouvrit le dossier posé sur la table, et le feuilleta d'un air professionnel. Il déglutit, observa ses visiteurs l'un après l'autre.
— Un témoin... dit avoir aperçu, je cite « le gamin de la télé » : un garçon d'environ dix-huit ans au volant d'une Jaguar rouge, au bord d'un champ à proximité de Saint-Eloy-les-Mines. Il était accompagné d'une petite fille...
Lavigne se pencha en avant :
— A quoi ressemblait-elle ?
Jenvier prit une grande inspiration et croisa les bras :
— Le portrait-robot correspond à celui de Lou.
Philippe secoua doucement la tête en soufflant :
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Jenvier poursuivit :
— A proximité de l'ancienne maison de la petite, des voisins disent avoir entendu des appels à l'aide enfantins, vendredi soir. Mais en sortant, il n'y avait plus personne.
La vieille femme couvrit sa tête avec ses mains et fondit en larmes :
— Cette pauvre fille n'a aucun repère dans le monde extérieur, commissaire...
Puis, elle se tourna vers Philippe d'un air de dégoût et pesta :
— Votre fils... est un criminel ! Il l'a kidnappée !
— Mais enfin ! gronda l'intéressé en bondissant de sa chaise.
— Gardez votre calme, s'il vous plaît !
Ils se rassirent. Jenvier retira ses verres pour se frotter les yeux et arbora un léger sourire à l'encontre de la directrice du foyer :
— Ne tirons pas de conclusions hâtives, je vous prie. Nous allons quadriller la zone, interroger les commerçants bordant la route qu'ils ont pris. Monsieur Delorme, vous n'avez pas la moindre idée de l'endroit où Austin se rend ?
Il haussa les épaules, décontenancé.
— Je n'en sais rien, mais... Mon fils n'est pas un criminel. Ça, je peux le dire.
Lavigne poussa un léger soupire insupportable. Philippe comprit dans le ton de sa voix qu'elle s'estimait plus intelligente que qui que ce soit.
— Ce sera tout, mademoiselle.
Le commissaire insista sur ce dernier mot, comme pour se moquer. Elle haussa les sourcils en le dévisageant, et quitta la pièce la tête haute. Au moment où la porte se referma, Philippe se pencha vers le commissaire en contractant la mâchoire.
— Le prof de musique. Qu'est-ce qu'il vous a dit ?
Jenvier referma le dossier d'une main leste.
— Votre fils paraissait ailleurs, la dernière fois qu'il l'a vu. Pas dans son assiette. Pour le rassurer, il lui a dit qu'il était très talentueux. Oh, il lui a aussi donné un journal, rempli de partitions, je crois. Il paraissait très inquiet. Je ne suis pas censé le dire, mais... Je crois qu'il n'a rien à voir avec la disparition d'Austin.
— On verra bien...
Philippe Delorme se leva, plus agacé encore qu'à son arrivée. Le commissaire passa deux doigts sur sa moustache en guidon et indiqua la porte :
— Permettez-moi de vous raccompagner.
Il ouvrit la porte, et l'homme d'affaires en franchit le seuil sans se retourner.
— Vous serez prévenu dès que nous aurons du nouveau.
— Contentez-vous de quadriller cette foutue zone.
Ses pas résonnèrent dans le bâtiment, puis la porte claqua derrière lui. Boris apparut à côté de Jenvier et observa la scène. Il porta son café à ses lèvres et le sirota bruyamment, ignorant l'expression de dégoût sur le visage du commissaire.
— Encore un qui s'est levé du pied gauche...
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...