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Austin demeura immobile, observant le sans-abri s'éloigner en agitant ses bras. Un bruit sourd le tira brusquement de ses pensées. Les gars du skate-park sautèrent de joie en applaudissant. Tim roula jusqu'à Clément, un large sourire aux lèvres. Derrière lui, le caméraman mit le pouce en l'air en observant le retour vidéo.

— C'est dans la boîte, man !

L'intéressé descendit de son skate et donna un coup de talon sur la planche, qui la propulsa dans sa main droite. Le jeune brun envoya valser le mégot de sa cigarette avant de lui faire une accolade.

— C'était propre, mec. Bravo.

Austin tourna sa langue dans sa bouche, échangea un regard avec la petite fille, et avança jusqu'à Clément.

— Je connais Pierre-Louis.

Le jeune brun se tourna vers lui, en fronçant les sourcils. Il frotta son crâne à moitié rasé et passa deux doigts sur son nez, frôlant son piercing.

— T'as dit quoi ?

Austin se racla la gorge et articula :

— Pierre-Louis est mon ami.

— Pierre-Louis, le blond ?

Tim s'approcha de lui et ironisa :

— T'en connais beaucoup ?

— Lâche-moi !

Austin hocha la tête.

— Il m'a dit de venir ici.

Clément plongea les mains dans ses poches, observant avec attention le garçon, de ses yeux sombres.

— Et pourquoi il t'a dit ça ?

— Je suis recherché par la police...

La petite fille écarquilla les yeux, en retirant son bonnet.

— Quoi ? Comment ça ?

— Ecoute...

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

Clément interrompit leur conversation d'un air amusé, s'approchant à la hauteur d'Austin.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

— J'ai fugué... avec la voiture de mon père.

— Pauvre chou. Depuis quand ?

Le garçon haussa les épaules.

— Vingt heures, maintenant, je dirais.

— Tu as envie de rentrer chez papa et maman ?

Le soleil disparaîtrait bientôt derrière les immeubles qui délimitaient l'horizon. Il éclairait le visage du garçon de sa lueur douce et dorée. De l'autre côté, la nuit approchait, recouverte par le ciel sombre qui se confondait avec l'univers. Austin se mordilla les lèvres, jetant un rapide coup d'œil vers la grosse boule de feu qui le fixait. Il plissa les yeux, et se retourna vers Clément. Il secoua la tête.

Le sans-abri afficha un sourire en coin et lui tendit la main.

— Restez avec nous cette nuit.

Le garçon la serra sans réfléchir, soudain libéré de toute son angoisse.

...

Le soleil s'était couché, remplacé par la lune, veillant sur les habitants de la terre depuis l'univers. Le skate-park était vide. De là où il était, Austin apercevait à peine les rampes au milieu de cet environnement lugubre. Ils étaient sept ou huit, tous en cercle autour d'un baril de pétrole vide qu'ils utilisaient en guise de feu. Certains avaient des polaires, mais la plupart utilisaient des couvertures chaudes. Austin avait proposé de leur payer quelque chose chez Courtepaille, mais ils s'étaient contentés de décliner. Clément lui assura ensuite qu'ils avaient assez de sandwichs pour « un régiment » ce soir. Et ils ne voulaient rien gaspiller. Tim était toujours là, avec son skate. Austin ne comprenait pas comment il pouvait avoir une telle énergie toute la journée, en dormant dans la rue.

Tout le monde mangeait, en silence ou presque. Jacob, un grand maigre, n'avait pas faim. Il s'amusait à taper sur un petit tambour pour enfant. Et cela énervait beaucoup sa copine Corinne, à en croire le regard qu'elle lui jetait.

— Si tu continues, je te le fais bouffer, ton tambour !

Corinne était hystérique et dangereuse... mais seulement avec Jacob. Elle se tourna illico vers la petite fille.

— Lou, tu veux des tomates en plus ? Il en reste, ne t'inquiète pas.

Cette dernière secoua la tête en souriant, la bouche encore pleine du sandwich au jambon qu'elle dégustait. Austin se tourna vers Clément, qui avait le regard fixé sur le feu depuis plus de cinq minutes.

— Comment vous avez eu toute cette nourriture ?

Il mâcha son bout de pain et sourit au garçon :

— Les maraudes.

— Les quoi ?

— Tu ne connais pas ?

— Non...

Clément posa son sandwich et se racla la gorge, avant de poursuivre :

— Presque chaque jour, des gens nous apportent à manger, à boire ou des vêtements. Ce genre de choses.

Il marqua une pause, tandis qu'Austin hochait la tête, ignorant totalement l'existence de ce genre de pratiques.

— Ton pote Pierre-Louis fait partie d'une maraude. Celle du... mercredi, de mémoire. C'est comme ça qu'on le connaît.

— Pierre-Louis fait ça ? articula le garçon. Il ne m'en a jamais parlé...

Clément haussa les épaules.

— C'est grâce à eux, tout ça. Ça parait être pas grand-chose, mais c'est beaucoup, en fait.

Il fit un signe de tête derrière son épaule.

— Regarde dans mon sac. J'ai un tel stock de chaussettes que je pourrais ouvrir un magasin.

Dans la poche principale du gros sac de montagne, les paires débordaient, si bien qu'Austin était incapable de les compter.

Clément se pencha vers lui et chuchota :

— Les chaussettes, c'est le truc le plus important, après la bouffe. On les use tellement vite...

Leur regard se tourna vers Tim, qui observait avec passion la planche de son skate, nettoyant la moindre saleté d'un coup de main. Il avait un sourire aux lèvres.

— Ça a l'air de beaucoup compter pour lui, le skate...

Clément termina son sandwich et se frotta les mains :

— Il utilise ses talents pour sortir de la rue. Chaque jour, un photographe vient pour tourner des clips avec lui et l'envoyer à de potentiels sponsors. Il espère recevoir une offre, un jour.

Austin hocha la tête en silence. Clément poursuivit dans un soupir :

— Il faut dire que Tim n'est pas bien doué pour le reste... En quelque sorte, c'est tout ce qu'il a, le skate.

Jacob frappa soudainement sur son tambour, à de multiples reprises, avant de s'arrêter net et de beugler :

— Qui a un instrument, ici ?!

Corinne lui cracha au visage :

— T'as déjà demandé la semaine dernière, pauvre amnésique !

— Allez ! insista-t-il en frappant encore plus fort.

— Moi, j'ai une guitare...

Tout le monde s'arrêta, se retournant vers Austin en fronçant les sourcils. Même la petite fille lui portait un regard ahuri. Il lut sur ses lèvres :

— Tu fais de la guitare ?

Gêné, il haussa les épaules en balayant le groupe du regard et bredouilla :

— Eh bien, oui... Oui, je fais de la guitare.

Clément lui offrit une gigantesque tape dans le dos.

— Eh bien, va la chercher !

Austin manqua de recracher son sandwich et se releva, fouillant dans ses poches pour trouver les clés de la voiture.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant