Migraine

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Lundi 1er février

Les pages de son livre ne bougeaient pas. Il n'en avait pas tourné une seule depuis plus d'une demi-heure. Dans la salle, c'était le silence le plus complet. Saga était de mauvaise humeur ce matin. En fait, il était irritable depuis le départ de son frère vendredi dernier. Il en voulait à tout et à tout le monde. Du coup, en arrivant en cours à huit heures trente, il avait collé une interrogation surprise à ses élèves. Et tous avaient maintenant le nez plongé dans sa copie. Tous sauf DM. A moitié affalé sur sa chaise, le jeune homme se contentait de regarder son professeur.

Mais ce dernier ne se préoccupait pas de lui, il avait ouvert son livre et commencé sa lecture. Seulement l'enseignant n'avait pas lu une ligne, pas un seul mot. Son esprit était trop préoccupé pour ça. Son frère était parti et il se retrouvait seul. Il ne s'était jamais retrouvé tout seul. Il était toujours resté avec Kanon, soit il le suivait soit c'est son cadet qui le suivait. Mais ils n'avaient jamais été vraiment séparés. Saga ressentait comme un vide, un gouffre sans fond dans son être qu'il ne parvenait pas comblé.

Il s'était dit qu'en restant auprès de Mô, il pourrait remplir ce vide, elle était tout ce que Kanon avait de plus précieux, elle était son cœur, une partie de son âme. Son frère avait tellement cherché la jeune fille. Il l'aimait si fort. Saga ne comprenait pas ce sentiment. Lui avait besoin de la présence de son jumeau. Ils devaient être ensemble. Il se sentait incomplet, amputé d'une partie de son corps, de son âme.

La présence de la jeune fille ne l'avait pas réconforté. Il ne lui en voulait pas pour autant. C'était de sa faute à lui. S'il n'avait pas demandé à son frère d'abandonner ses recherches, Kanon aurait continué et lui il serait là, avec elle. Non, ce n'était pas vrai et Saga le savait très bien. Il avait eu beaucoup de difficulté pour persuader son frère de venir ici. Si celui-ci avait persisté, alors ils se seraient certainement séparés. Mais Saga l'aurait appelé. Oui, il l'aurait appelé pour lui dire que Mô était là, dans cette école. Il lui aurait dit pour le faire revenir auprès de lui.

C'était égoïste de sa part. Il en avait conscience mais il ne pouvait pas se passer de son frère. Il fallait qu'il soit là, à ses côtés. Il en avait besoin.

Il ferma les yeux. Il sentait un mal de crâne monter doucement, insidieusement. Ça lui avait fait ça tout le week-end. Il fronça les sourcils lorsqu'une onde dévastatrice ravagea soudain son cerveau.

DM regardait fixement son professeur de français. Il n'avait que ça à faire, vu qu'il ne faisait jamais les interrogations, il suivait à peine les cours de toute façon. Saga avait la tête penchée sur son livre. Il ne la relevait même pas pour surveiller les élèves. D'ailleurs ceux-ci tentaient, avec succès, de se donner mutuellement les réponses et ce n'était certainement pas DM qui allaient les balancer. Le jeune homme avait pour principe « tant que tu te fais pas prendre, tout va bien ». Alors ce que faisaient les autres, il s'en moquait royalement.

Pour l'instant, il regardait cet homme, le frère du petit copain, pardon de l'ex-petit copain de son amie. Bien sûr il était en colère contre lui. Mais aussi contre lui-même. A aucun moment il n'avait écouté Mô. Le plan de la jeune fille était pourtant simple : se séparer en trois groupes et suivre une guêpe, l'une d'elles les aurait forcément conduit à Hadès. C'était d'ailleurs ce qu'avait réussi à faire Camus et Minos. Mais DM n'avait pas été d'accord. Il avait eu peur pour Aphrodite, inutilement, et il n'avait pas réfléchi. Bien sûr que Mô avait raison, bien sûr qu'Aphrodite devait apprendre à se défendre mais il avait dû mal à réfléchir dès qu'il s'agissait de son île. Une île bien lointaine maintenant. Si proche et inaccessible.

Absorbé par ses pensées, DM mit un moment à réaliser que l'expression de Saga avait changé. Il semblait souffrir. Les traits de son visage s'étaient tendus. Mais le jeune homme ne bougeait pas. Il avait mal quelque part, l'aîné des jumeaux ? Et bien qu'il continue de souffrir, DM s'en moquait. Après tout, il n'avait que ce qu'il méritait. Lui et son frère avaient délibérément menti à Mô.

Mô !

Il bondit d'un seul coup de sa chaise faisant sursauter toute la classe.

Bon sang de bon soir ! (Je reste polie mais ce ne sont pas vraiment les mots qui ont traversés l'esprit de DM, vous vous en doutez !). Mô était arrivée dans le garage avec mal à la tête. Et si Saga faisait un truc du même genre ! Ils étaient plutôt mal !

Le jeune homme rejoignit rapidement son enseignant.

- Ça va, Monsieur ?

Saga ne répondit rien. Il ne releva même pas la tête. De toute façon, il n'avait pas entendu la voix du jeune homme. Il était toujours plongé dans ses pensées noires.

- Allez chercher Ayoros, ordonna DM aux élèves qui les détaillaient, surpris du subit intérêt du jeune homme pour leur enseignant.

Il lui fallut d'ailleurs se répéter sur un ton plus sec pour que l'un d'entre eux ne se décide à obéir. DM posa sa main sur l'épaule de Saga. Il le secoua en douceur tout en l'appelant par son prénom. Il ne voulait pas trop le brusquer. Il avait bien vu ce qui c'était passé avec Mô et il n'avait pas envie de réitérer l'expérience, pas avec la claque mentale qu'ils s'étaient pris.

Le professeur se redressa brusquement en enroulant rapidement son bras autour de celui de DM. Surpris, les élèves eurent un mouvement de recul. Cette expression sur le visage de leur enseignant... jamais ils ne l'avaient vu comme ça. Il avait toujours une expression affable et là... il regardait DM d'un air mauvais, comme s'il allait lui sauter à la gorge. Ce dernier n'avait eu pas le temps de réagir. Maintenant, Saga maintenait fermement son bras dans le sien, le tordant au passage. S'il avait eu des doutes sur la force de son professeur lorsque celui-ci avait frappé la guêpe lors de l'agression de Rune à la bibliothèque, aujourd'hui il sentait toute la puissance de son enseignant refermé sur son bras. DM était coincé, il ne parvenait pas à se dégager. Il n'essayait pas non plus. Il se contentait de fixer Saga pour maintenir l'attention de ce dernier sur lui. Il fit signe aux autres élèves de sortir. Quelques uns allaient d'abord contester, mais finalement, ils n'en firent rien. Ils suivirent la majorité : ils rangèrent précipitamment leurs affaires pour sortir de la salle.

Ayoros arriva à ce moment-là. Il évalua rapidement la situation. DM et Saga se faisaient face. Le premier avait un air grave sur le visage, l'autre lui tournait le dos. Il laissa sortir tous les étudiants avant de s'approcher des deux duellistes.

- Saga ? interrogea le surveillant général en posant sa main sur le bras de l'intéressé.

Il dut se répéter plusieurs fois avant que celui-ci ne tourne enfin la tête vers lui. Son regard était vide mais son visage était dur.

- Tout va bien ?

Saga regardait Ayoros sans le voir. Son esprit était ailleurs, sur sa douleur, sur le vide qu'il ressentait. Doucement, le surveillant général vit le regard de l'enseignant changer, comme s'il remontait lentement à la surface. Son visage mit plus de temps pour se détendre. DM sentit la pression sur son bras s'amenuiser. Mais le jeune homme ne lâcha pas prise pour autant. Il attendit que Saga le lâche en premier.

L'aîné des jumeaux s'effondra sur sa chaise. Il se pencha pour prendre sa tête entre ses mains.

- Que se passe-t-il, Saga ? demanda de nouveau le surveillant général.

- Rien. Je... j'ai juste des migraines. C'est tout.

- Trop d'émotion, sans doute. Tu veux que j'appelle Athéna.

- Non, c'est bon. Ça va passer. Ne te mêle pas de ça.

- Tu es l'un de mes enseignants, je suis en droit de m'en mêler si ça arrive pendant les cours, Saga. Tu devrais rentrer pour te reposer.

Le professeur de français mis un moment à se décider. Il ne voulait pas abandonner ses élèves. Mais il fut contraint de l'admettre, Ayoros avait raison : il n'était pas en état d'assurer son cour aujourd'hui.

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