Pour te quitter dis-moi je t'aime

Les secrets des Hunter (Partie 1)

Habituellement, avant même de voir les victimes de son horrible jeu franchir, à tout jamais, la porte de son appartement, Julian les jetaient aux oubliettes de sa mémoire et de sa conscience. Comme s'il s'agissait d'une possession maléfique, le cruel et nocturne Casanova emportait avec lui ses souvenirs avec ces pauvres femmes, et redonnait les commandes à l'inexorable, mais bien respectable, homme d'affaires qu'il incarnait le jour.

Cette fois-ci, les deux esprits se rencontrèrent le temps d'une réflexion sarcastique sur la malédiction que leur avait jeté la sorcière aux longs cheveux de feu.
Sous la douche, Julian se moquait de cette menace augurale qui visait son cœur de pierre.

— Tomber amoureux ! Et de qui ? D'une femme qui me battra à mon propre jeu ! Et puis quoi encore ?

Ce moment de détente fut rapidement écourté. Estimant que les secondes accordées à l'hilarante imprécation méritaient d'être entièrement dédiées à un sujet plus important, Julian quitta la salle de bain pour se diriger vers son interminable dressing avec, en tête, une seule et unique préoccupation...Son destin.

Pressé d'en découdre avec son grand-père dans l'ultime confrontation qui scellera son avenir comme puissant successeur ou malheureux déshérité, il choisit à la hâte la tenue parfaite pour un affrontement d'une aussi grande envergure. Un sombre et sobre costume classique avec un long manteau d'hiver.

Naturellement beau et viril, athlétiquement bâti, et instinctivement élégant, le beau blond aux yeux bleus saphir n'avait jamais fourni beaucoup d'efforts pour soigner son apparence physique.

Bien évidemment, dans le souci de contrer les ravages de son penchant paradoxal pour l'alcool et les cigarettes, il imposait à son corps un draconien programme sportif, et un régime alimentaire très restreint. Et afin de marquer les esprits lors de ses apparitions publiques, il accordait également à la mode un budget colossal. Toutefois, à ses yeux, l'aura mentale que dégageait un homme comptait plus que l'image corporelle qu'il renvoyait.

Depuis toujours, et malgré l'opulence dans laquelle il était né et grandi, il préférait être pauvre et redouté, que riche et pusillanime.

Face au miroir limpide de son dressing, le charmant et gracieux trentenaire arrangeait donc sa cravate en cherchant la petite bête au caractère de son reflet. L'homme derrière la glace arborait pourtant une prépondérance et une confiance en soi inégalées. Il était même à la hauteur de ses espérances. Il incarnait charnellement sa personnalité rebelle et dominante. Cependant, Julian savait qu'il en fallait beaucoup plus pour son rendez-vous d'après minuit.

Le grand-père qui l'attendait au domaine familial n'était pas le généreux protecteur qui l'avait élevé et forgé, il n'était pas ce père aimant qui avait su compenser l'absence dévastatrice de ses parents, il n'était pas ce seul proche qui l'avait pris sous son aile. C'était avant tout le tyrannique patriarche de la dynastie des Hunter, le diabolique patron de l'industrie pétrolière dans le monde, et l'officieux maître intraitable de l'économie Américaine.

Quand il s'agissait de business, cet homme-là ne connaissait ni père, ni mère, ni enfant. Il n'avait aucun scrupule à détruire ses alliés avant ses opposants. Quand on le contrariait, il sévissait sans aucune pitié.

En refusant, un mois plus tôt, son offre d'être désigné comme unique PDG de toutes les entreprises familiales, Julian savait déjà qu'il avait commis un impardonnable impair, mais confirmer son inacceptation en s'abstenant, ce soir, de se rendre à la soirée de sa nomination forcée et inévitable, était  un sacrilège qui méritait les pires représailles.

— Voyons qui de nous deux remportera cet ultime face-à-face, grand-père.

Nullement terrifié ou inquiet, Julian quitta son appartement impatient de mettre fin au suspense qui tenait en haleine toute l'Amérique. Dès qu'il sortit de l'ascenseur, il fut accosté par Kevin, le jeune veilleur de nuit de l'immeuble.