Pour te quitter dis-moi je t'aime

Une question de famille

Depuis sa rencontre avec Julian, Anna s'était habituée à ressentir des sentiments autres que ceux qui étaient censés normalement émerger selon les situations qu'elle vivait. La jeune femme ne fut donc pas surprise d'être rassurée au lieu de s'offusquer du comportement de son ex-mari.

Entendre Julian défier l'autorité sans en trembler, et se comporter comme si le monde roulait sous ses lois soulagea immédiatement Anna. Cette puissance, cette insouciance et cette prétention formaient les traits les plus marquants du caractère légendaire de Julian. Les voir ressurgir si brutalement prouvait bel et bien que, malgré l'épuisement, il était toujours le fameux Julian Hunter, l'homme qui n'était pas Dieu, mais qui était tout puissant.

Anna, qui s'inquiétait sérieusement pour le santé physique et mentale de Julian, eut la confirmation et même la certitude que, bien qu'il traversait sans aucun doute une passe très difficile, il était toujours monstrueusement solide pour tenir le coup.

Le jeune femme accepta donc de monter dans la voiture de Julian sans montrer aucune résistance. Elle le laissa même la conduire vers le destination qu'il souhaitait sans lui poser la moindre question.

__ Tu es bien silencieuse. Lui fit-il remarquer.

__ À quoi bon parler ? Rétorqua la jeune femme sans lui adresser le moindre regard.

__ Anna, tout rentrera dans l'ordre dans peu de temps, je te le promets.

__ Tu m'en as fait des promesses, Julian. Tu n'en as hélas tenu aucune.

Le silence qui suivit sa remarque força Anna à détacher ses regards de la vitre pour les poser sur le visage de Julian. Il lui était impossible de savoir si elle le haïssait ou même si elle l'aimait encore, mais d'une façon ou d'une autre, elle était solidement attachée à lui.

__ Suis-je égoïste, Julian ? Ai-je tort de te blâmer du mal que tu me fais alors que tu souffres plus que moi ?

__ Tu n'es pas égoïste, Anna. Tu ne l'as jamais été, et tu ne le seras jamais. Je ne connais aucune femme qui accepte de tout abandonner pour aider un homme qui ne cesse de la blesser et de la rejeter.

__ Tu reconnais donc que tu as besoin d'aide.

Après avoir jeté un regard inspecteur sur tous les rétroviseurs de sa voiture, Julian se gara sur le bas-côté de la route en laissant le moteur en marche, il se tourna ensuite vers Anna, puis laissa ses regards chanter les louanges de la beauté de son visage.

__ J'ai juste besoin de te savoir en sécurité.

La confession de Julian coupa le souffle d'Anna. Depuis plus de six mois, la jeune femme ne vivait plus que pour avoir droit à ce moment privilégié, que pour obtenir cette chance inespérée, que pour accéder à la forteresse des secrets et des confidences sombres qui plongeait son amour dans l'horreur.

__ Ton grand-père ne me fait pas peur, Julian.

__ Ce n'est pas de lui que tu devrais avoir peur.

__ De qui alors ? De qui suis-je censée avoir peur ?

Julian serra la mâchoire, et enfonça ses dents aiguisées dans la chaire fragile de ses lèvres bavardes. Sa lutte pour retenir l'aveu destructeur que sa bouche souhaitait libérer lui coûta deux larmes qui trahirent sa vulnérabilité.

Il avait envie de le reconnaître, de l'avouer, de s'en libérer...mais cette vérité était cruelle, atroce, insupportable.

Trois jours. Trois jours entiers passés dans un motel lugubre et malfamé à se désintoxiquer des poisons qu'Émilie lui faisait ingurgiter sans le savoir. Trois jours à se battre contre une paranoïa de plus en plus réelle. Trois jours à se demander s'il était capable de vaincre cette malédiction qui destinait Anna à vivre la vie de sa mère. Trois jours à espérer, à rêver, à positiver, mais au final, Julian était sorti de son enferment comme il en était entré, et pire encore.