Un jeu...Une malédiction

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À la fin d'un mois de mars terriblement algide, la ville de New-York n'espérait plus la grâce météorologique qu'elle guettait depuis la fin des fêtes de Noël et du nouvel an. Après plus de trois mois de règne tyrannique, l'hiver refusait de céder la place au printemps, et continuait d'imposer son froid insoutenable, ses journées brumeuses, et ses soirées sibériennes.

Déchiré entre les deux clans, le ciel neutre et désespéré ne put qu'exprimer sa peine et sa douleur. Pour cette nuit encore, il choisit une tenue de deuil fuligineuse dépourvue d'éclats de lune et d'étoiles, versait des larmes torrentielles qui agressaient la terre plus qu'elles ne la nourrissaient, et expirait de ses entrailles les souffles frigorifiques de sa morosité.

Lassés d'attendre une salvation qui refusait de pointer le bout de son nez, et résignés à subir les conséquences du conflit qui opposait les disciples de dame nature, les New-yorkais profitaient pleinement de leurs dernières heures de sommeil avant le début d'une nouvelle journée de vie et de survie.

Indolemment affalé sur le lit de sa chambre enténébrée, Julian, lui, contemplait fixement la baie vitrée qui, tel un écran de projection cinématographique, lui transmettait la cinglante guerre qui opposait la plus douce des saisons à la plus inclémente. Au milieu des derniers souffles de vie des cigarettes qui passaient une par une dans sa bouche assassine, l'insomniaque invétéré méditait, depuis des heures, sur ce saisissant spectacle en faisant le parallèle entre ce qui se passait au-dessus de sa tête, et ce qui se tramait au-dessous de ses pieds.

Avant le lever du jour, il savait que, tel l'hiver qui persécutait le printemps sans relâche, le monde entier mènera contre lui une implacable croisade, et que dans l'espoir fou de le faire déchoir, on s'acharnera et on conspirera contre sa personne en usant de coups foireux, d'alliances pathétiques, et de manigances peu loyales.

Même extrêmement révoltante, l'idée d'être considéré comme un être faible et fragile amusait grandement Julian. Elle lui donnait un aperçu sur la stupidité et l'ignorance de ses rivaux.

Il était pourtant connu comme un fervent et fanatique adorateur de duels. C'était le piment de son quotidien monotone. Il n'en avait pas peur. Au contraire. Plus que toute autre chose dans sa vie, il aimait défier et être lui-même challengé.

Prévoyant, intelligent, sagace et fourbe, il gagnait systématiquement, rapidement et aisément tous ses face-à-face avec ses concurrents.

Toutefois, cette fois-ci, cette légitime rivalité, que vivait tout homme d'affaires, s'apprêtait à prendre une forme sanglante et apocalyptique.

Julian était conscient que ses ennemis ne seront plus que de parfaits étrangers. À eux s'ajouteront des membres de son propre clan, de son propre sang, et de sa propre chair. À ceux-là, peu leur importait sa puissance et sa force. Réunis par leur naïveté et encouragés par leur surnombre, ils s'attaqueront aveuglément à lui avec un acharnement surhumain.

Flegme devant ce tournant dangereux et imminent qu'allait prendre sa vie, Julian préférait relativiser. Son futur destin n'avait rien d'exceptionnel finalement. Ainsi les choses étaient faites depuis la nuit des temps, et ainsi se réglaient elles dans les villes civilisées, dans les tribus primitives, et dans la faune sauvage.

On voudra toujours être roi à la place du roi.

Et cette nuit justement, c'était celle de sa consécration la plus absolue.
À quelques kilomètres de Manhattan, se déroulait la soirée de son sacre. Une cérémonie qui l'intronisera à la tête de l'économie nationale et internationale, et qui fera de lui le maître incontestable du monde.

Pourtant, au moment même de son couronnement, il n'avait pas encore accordé son approbation, ne s'était même pas rendu sur place, et refusait toujours de s'asseoir sur ce trône qu'on lui cédait avec des prérogatives impériales.

Pour te quitter dis-moi je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant