7 : ophelia

28 6 2
                                    

Comme après chaque nuit pleine d'angoisse, Ophelia a désespérément besoin d'un point d'ancrage

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Comme après chaque nuit pleine d'angoisse, Ophelia a désespérément besoin d'un point d'ancrage. Malheureusement, elle est à des lieues de chez elle et a perdu tous les feuillets sur lesquels elle écrivait au moment du naufrage.

Elle quitte le silence feutré de sa chambre pour gagner les parties communes de la maison.

Circé n'est pas là. En revanche, une nymphe se prélasse sur une des banquettes, une pomme croquée à la main.

- Bonjour ! s'exclame-t-elle en découvrant Ophelia.

La rescapée se contente d'un mouvement de la tête. À son tour, elle saisit un fruit dans la corbeille qui trône au milieu de la grande table en bois.

Un instant, une pensée lui traverse l'esprit. Est-ce à cette table qu'Ulysse et ses marins se sont installés avant d'être changés en animaux ? Ophelia devrait demander directement à la magicienne, mais elle ose à peine prendre la parole devant les nymphes. Alors devant Circé ? Cela lui paraît tout simplement impossible.

Elle mord dans sa pomme pour ne pas se concentrer sur le silence pesant qui envahit la pièce. Elle n'est pas à l'aise ici, pas avec les nymphes, pas non plus avec la maîtresse des lieux. Est-ce parce que ses compagnes sont d'essence divine et qu'elle n'est qu'une simple mortelle ? Ou bien parce qu'Ophelia ne s'est encore jamais trouvée en compagnie exclusivement féminine ?

Avec un frisson, le visage de son défunt mari s'impose à ses pensées. Elle le repousse aussi vite qu'elle le peut.

Elle aimerait tellement ne plus jamais penser à lui.

À lui, et à tous les autres.

Soudain oppressée malgré le calme de la demeure, elle se lève de la chaise où elle a pris place, son trognon de pomme toujours dans la main.

Elle sort. L'extérieur est tout aussi paisible que l'intérieur. Un vent délicat, bien loin des bourrasques de la tempête, fait bruisser les feuilles des arbres dans une douce mélodie. Au loin, le bruit des vagues est à peine perceptible, et Ophelia devine que la mer est presque immobile.

Elle marche au hasard, s'approprie l'île d'Aea. Elle passe à côté du potager de Circé, puis traverse les prés et s'enfonce finalement dans les bois.

La forêt, c'est sa maison. C'est de là qu'elle vient. Même s'il manque à cette île quelques montagnes pour qu'Ophelia se sente comme chez elle.

Sans s'en rendre compte, elle pénètre de plus en plus loin entre les arbres aux troncs noueux et aux branches semblables à des serpents qui se contorsionnent. Elle prête attention au moindre bruit, au contact de ses pieds sur la terre et aux gazouillis des oiseaux.

Et puis tout d'un coup, tout devient silencieux. Ophelia ne s'en rend pas compte tout de suite. Jusqu'à ce qu'un chant timide mais harmonieux atteigne ses oreilles.

Au détour d'un buisson, elle l'aperçoit.

Circé cueille des herbes sauvages en fredonnant un air inconnu. Ophelia ferme les yeux. Elle n'aurait pas soupçonné un tel talent chez son hôtesse, mais en y réfléchissant, tout fait sens. Elle qui se disait justement que la voix de la magicienne était plus envoûtante que celles des sirènes.

Elle ne sait combien de temps elle passe à l'écouter. C'est apaisant. Les vibrations du chant lui procurent des sensations qu'elle n'a encore jamais expérimenté.

Mais soudain, un grondement l'interromp dans ce moment de grâce. Elle rouvre les yeux et lâche un cri de terreur.

Une lionne s'est dressée entre Ophelia et Circé. Les crocs sortis, ses yeux sauvages plantés dans ceux d'Ophelia, elle semble lui dire sans paroles : Ne t'approche pas de ma maîtresse.

Circé a remarqué le comportement de sa lionne, elle a entendu le cri poussé par son invitée. Elle s'arrête de chanter et dévisage Ophelia.

- Oh, c'est toi. Ravie de voir que tu vas mieux et que tu te promènes à ta guise. Ne t'inquiète pas, ma lionne n'est pas dangereuse, elle fait seulement illusion.

- C'est un marin, elle aussi, arrive à murmurer Ophelia, toujours terrorisée.

La surprise se lit sur le visage de la magicienne.

- Oh ! Oh, non, je ne l'ai pas transformée. Disons que c'est un cadeau.

Une lionne. Il y a une lionne sur cette île. Que vais-je trouver ensuite ? s'inquiète Ophelia.

- Est-ce que je devrais être informée de la présence d'autres animaux ? Des loups, par exemple ?

La jeune femme est soulagée de voir qu'elle n'a pas perdu l'usage de ses cordes vocales. Et à l'expression de Circé, elle devine que celle-ci a eu la même pensée.

- Non, je n'ai jamais vu de loups par ici.

J'ai donc bien rêvé cette nuit.

Mais même lorsque cette pensée lui traverse l'esprit, Ophelia ne peut s'empêcher de trembler.

The BeastOù les histoires vivent. Découvrez maintenant