Un pas en avant, deux pas en arrière.
C'est l'impression qu'a Circé vis à vis de sa relation avec Ophelia. Chaque progrès semble appeler une régression, et voilà qu'à nouveau, la rescapée se fait distante.
Le problème de la chambre n'ayant pas été résolu, Ophelia a dormi deux nuits sur le divan du séjour.
Et à chaque fois que la magicienne a cherché à évoquer le sujet avec elle, elle s'est empressée d'éluder, prétextant vouloir se promener seule dans la forêt ou s'isoler pour écrire quelques lignes.
Puisqu'elle n'a toujours pas accès à ses pensées, Circé donnerait cher pour mettre la main sur les écrits de son invitée.
Comme ce n'est pas possible, elle se réfugie dans sa cuisine. Des odeurs estivales s'echappent de sa marmite, elle passe ses journées à concocter des philtres dont elle n'a même pas besoin. Mais que peut-elle faire à part s'exercer aux potions ? La balle est dans le camp d'Ophelia, après tout.
Et en même temps, elle ne peut s'empêcher de penser qu'elle a commis une erreur. N'était-ce pas assez évident que sa compagne ne ressentait rien ? Après tout, elle s'était enfuie après le baiser, tout comme elle s'est enfuie encore une fois.
Tu te rappelles que c'est elle qui t'a embrassée ? lui souffle pourtant une voix insidieuse.
Circé a interprété le baiser comme un moment d'égarement. Dans la frénésie de leur danse, Ophelia s'est laisser emporter, voilà tout. Ses deux fuites successives sont bien la preuve qu'il n'y aura jamais rien de plus.
Elle soupire en laissant tomber quelques feuilles de basilic dans le liquide verdâtre qui flotte dans la marmite. Pourquoi les choses ne peuvent-elles pas être plus simples? Est-ce trop demander que de réclamer de l'honnêteté, une relation transparente ?
Elle suppose que oui. C'est vrai que les dieux n'ont pas vraiment l'habitude de faire simple. Et il faut avouer qu'elle-même n'a pas toujours été transparente.
Un grognement la tire de ses pensées. Sa lionne a soulevé le rideau qui ferme l'entrée à la cuisine, et se frotte maintenant contre ses jambes. Circé se désintéresse quelques instants de sa potion.
Depuis quand n'a-t-elle plus accordé de l'attention à la féline ? Peut-être bien depuis l'arrivée d'Ophelia. Depuis qu'elle essaie de percer le mystère que représente son invitée.
Alors elle éteint le feu qui brûle sous sa marmite. La mixture peut bien attendre. Là, tout de suite, elle a besoin de se rapprocher de sa lionne, de sentir de nouveau le lien qui les unit et l'appel de la nature sauvage.
Elles quittent la maison pour s'enfoncer dans les bois que Circé connaît par cœur. Elle pourrait s'y promener les yeux fermer et pointer du doigt chaque plante, chaque arbre, en indiquant leur nature avec précision.
Mais l'animal se met à courir, alors elle le suit. Ses pieds nus foulent le sol forestier, elle rebondit sur la mousse, avant de s'écorcher la peau sur des brindilles. Leur craquement sous son poids, le vent qui soulève ses cheveux, autant de bruits et de sensations qu'elle a l'impression de ne pas avoir ressentis depuis des lunes.
L'esprit de Circé vagabonde, comme détaché de son corps. Il laisse derrière lui toutes questions qu'elle meurt de poser à Ophelia, la honte d'avoir avoué ses sentiments, l'agacement face au comportement puéril des nymphes. Et plus il se vide, plus elle se sent légère, comme si Eole la soulevait à chacune de ses foulées, comme si elle défiait la gravité.
Lorsqu'elle s'arrête enfin et se blottit contre sa lionne, il fait presque nuit. La bête et la magicienne regardent le coucher de soleil sur la mer, mais quelqu'un s'approche et les interrompt.
Circé se retourne, pour faire face à Ophelia.
- Tu pleures ? remarque son invitée.
Circé passe sa main sur son visage. Elle ne s'était même pas rendu compte des larmes qui avaient coulé.
- Ce n'est rien, répond-elle, plus sèchement qu'elle ne l'aimerait. Que veux-tu ?
- Je... j'ai besoin de ton aide.
La magicienne se redresse, pour observer Ophelia à hauteur égale.
- À quel propos ?
- La pleine lune, c'est demain soir. Alors si par chance, tu avais un moyen de me délivrer, j'aimerais-
- Je peux essayer, la coupe Circé. Mais pour mieux comprendre à quoi j'ai affaire, il me faut le fin mot de ton histoire.
VOUS LISEZ
The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...