98 : ophelia

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Après le départ de Mérope, les jours passent sans qu'Ophelia ne s'en rende compte

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Après le départ de Mérope, les jours passent sans qu'Ophelia ne s'en rende compte.

Elle voit les feuilles des arbres tomber sans vraiment les voir. La nature d'Aea se prépare à l'hiver, et pendant ce temps, Ophelia écrit, change les pansements de Circé, ou laisse tout simplement son regard vagabonder dans le vide du ciel.

Certains jours passent sans que son estomac lui rappelle qu'elle a besoin de se nourrir.

Parfois, elle a presque l'impression de ne plus être en vie.

Elle est arrivée sur l'île depuis plus de six lunes, mais elle a l'impression qu'il s'est écoulé des siècles.

C'est donc ce que Circé ressent ? écrit-elle un jour sur son parchemin. Cette sensation d'être figée au milieu d'un monde qui bouge ? Cette impression que je pourrais presque toucher et voir le temps qui passe, à force de rester inactive ?

Ce soir là, comme elle le fait de temps en temps, elle prend quelques minutes pour rendre visite à Pitys, après la prière aux dieux des Enfers.

Si elle ne le fait pas, si elle ne parle pas à haute voix, elle a l'impression qu'elle pourrait finir par perdre l'usage de la parole.

- Bientôt, ce sera de nouveau la pleine lune, dit-elle en regardant les hautes branches de l'arbre et en se perdant dans les sillages créés par l'écorce.

De temps en temps, elle espère que Pitys l'entend et la comprend. Elle se dit qu'après la tragédie vécue par la nymphe, elle doit être contente que quelqu'un lui raconte sa journée. D'autres soirs, comme celui-ci, Ophelia plaint sincèrement le pin d'avoir à subir ses bavardages inintéressants et remplis d'angoisses.

- Tu te rends compte ? Ça fait déjà deux lunes que Circé est dans cet état... Je n'en peux plus. J'ai l'impression de perdre la tête. Est-ce que tu t'ennuies, toi ? Est-ce que les arbres s'ennuient ?

Un rire nerveux s'échappe de ces lèvres.

- Pas de doute, je perds la tête. Et dire que la pleine lune est dans quelques jours à peine et que je ne suis même pas inquiète de savoir qui va m'empêcher de rentrer dans la maison si je me laisse emporter ! Je n'en peux juste plus. Je ne suis plus terrorisée, j'ai juste envie que toute cette situation s'arrête !

Elle fait une pause. S'approche de l'arbre. Et s'adosse à son tronc.

Puis elle lâche un soupir bruyant.

- C'est même pas vrai, Pitys. Je me ment à moi-même. Je suis terrifiée. Et en colère, aussi. J'ai compris, maintenant, j'ai compris que les dieux ne nous sont d'aucune aide. Et pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'espérer que Perséphone m'entende ! Ou Artémis, ou Aphrodite ! Ou Hécate ! Pourquoi ne vient-elle même pas au secours de sa fille ? Sont-ils aigris au point d'ignorer une des leurs ?

Elle tape du pied, et lâche un cri de douleur. Ses orteils ont buté sur un racine.

Elle lève les yeux vers Pitys.

- Désolée, désolée, je me suis emportée. En même temps, j'espère bien qu'un pin aussi robuste que toi est assez solide pour supporter un petit coup de pied humain.

Nouveau rire nerveux.

- Et voilà. Je parle à un arbre. Franchement, si quand j'étais petite, quelqu'un m'avait dit que j'allais me transformer en animal sauvage à chaque pleine lune, et que je parlerai à un arbre, je ne sais pas laquelle de ces deux informations j'aurais pris le plus au sérieux.

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