Quelques instants après elle, Circé apparaît dans la salle à manger. Elle a un air pensif, et Ophelia s'interroge sur sa raison d'être restée dehors un peu plus longtemps.
- Je suis désolée de vous demander ça, mais... Pouvez-vous m'aider à nettoyer ?
La magicienne se tourne vers les nymphes, toujours muettes devant le spectacle morbide qui les entoure.
- Beurk, non, pas envie de me couvrir du sang que tu as versé ! peste l'une d'entre elles.
- C'est vrai, nous on a rien à voir avec tout ça ! Pas envie d'avoir des ennuis avec Zeus, ou pire, avec Hadès !
Et sur ces paroles, elles tournent les talons pour regagner leur chambre.
Le regard d'Ophelia croise celui de Circé.
- Ça fait rien, je vais t'aider, moi.
- Mais... Tu vas pouvoir le supporter ? Je croyais que tout ça te donnait la nausée.
- C'est le cas. Mais tu ne vas tout de même pas tout faire toute seule, non ? C'est quand même moi qui ai attiré ces hommes sur ton île.
En prononçant ces mots, Ophelia réalise qu'elle ne ressent plus de peur, plus d'envie de s'enfuir. Étrangement, la métamorphose à laquelle elle vient d'assister ne l'effraie pas. Circé ne l'effraie plus.
Et au fond d'elle-même, elle sait pourquoi.
C'est lorsque je suis arrivée qu'elle s'est emportée. Si je n'avais pas été là, elle n'aurait peut-être pas tué tous ces marins, mais alors, elle se serait peut-être faite abuser.
Circé a fait tout ça pour me protéger.
- D'accord, accepte la magicienne. Dans ce cas, on va sortir tous les corps, les rassembler avec les autres dehors, et ensuite on fera le ménage et je préparerai une potion pour dissoudre les cadavres.
Ophelia acquiesce, et elles se mettent au travail.
Les hommes sont lourds, et leur sang laisse des traînées écarlates sur les dalles puis sur l'herbe. Mais ni l'une ni l'autre ne rechigne à la tâche, même si le ventre d'Ophelia lui fait entendre son mécontentement d'être exposé à une telle scène.
- Je suis désolée d'être descendue, lâche-t-elle au bout d'un moment.
- Ça n'a plus d'importance.
- Je sais, mais je t'avais promis de-
- Ça ne fait rien, Ophelia.
Le ton sur lequel elle prononce son prénom est redevenu doux comme lorsqu'elle fredonne. Ophelia souffle et relâche les épaules, soudain apaisée.
- J'ai eu peur quand tu as crié, avoue-t-elle. Qu'est-ce qui s'est passé avant mon arrivée ?
Elles jettent un corps sur le tas des autres marins morts.
- Pendant un long moment, tout allait bien, et puis...
La voix de Circé baisse en intensité.
- Le capitaine, Argyros, a commencé à me parler d'Ulysse. Il a déclaré que pour qu'il soit resté ici aussi longtemps, je l'avais sûrement séduit et persuadé de ne pas repartir alors que sa femme l'attendait depuis déjà plus de dix ans. Ce n'est pas vraiment ce qui s'est passé, mais je ne l'ai pas contredit, car j'ai compris que ça ne ferait qu'accélérer les choses. Et puis, évidemment, il a commencé à me...
Ophelia garde le silence. Ce qui va suivre est évident. Mais elle ne veut pas poser ces mots à la place de sa compagne.
- Il a commencé à me toucher. Alors je lui ai dit de me lâcher, mais comme il devenait plus insistant, j'ai voulu déclencher le poison...
Circé s'interrompt dans sa marche. Ophelia se retourne, revient vers elle.
- Je n'ai même pas pensé qu'ils étaient sans doute au courant pour le poison ! J'ignore comment, mais d'une manière ou d'une autre, ils ont pris un antidote avant de boire et de manger.
La voix de Circé devient tremblotante. Ophelia ne réfléchit pas et la prend de nouveau dans ses bras.
- Eh, murmure-t-elle. Tu ne pouvais pas savoir...
- Bien sûr que si ! Si la légende d'Ulysse s'est propagée, évidemment que tout le monde est au courant de mon stratagème et de la façon de le contourner ! Même toi, tu le savais !
- Circé, il ne faut pas que tu t'en veuilles pour ça. Crois-moi, ce sont les seuls à avoir quelque chose à se reprocher.
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The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...