Deux jours ont passé, depuis la découverte des corps de Chloris et de Circé. Deux jours, depuis lesquels Ophelia éprouve des difficultés à respirer.
Le comportement des nymphes à son égard a changé, elle le sent. Elle les a pourtant aidées à offrir à leur compagne décédée une sépulture digne de ce nom, lui assurant de pouvoir traverser le Styx et d'être accueillie aux Enfers. Mais c'est trop tard. Si Circé a su supporter le poids de la malédiction, ce n'est pas le cas de Mérope et de Mélité.
Et Circé qui ne se réveille toujours pas...
Ophelia sait que Mélité continue à lui dispenser quelques soins futiles, même si la magicienne n'a jamais été très proche des nymphes. Ophelia n'a peut-être jamais vu une immortelle avec une blessure si grave, mais elle sait également que ces soins ne suffiront pas.
Comme Circé l'a déduit, quelques temps plus tôt, lorsqu'Ophelia lui avait déjà infligé une plaie, elle ne peut pas mourir du temps qui passe, mais d'une blessure grave, oui. Du moins, c'est ce que la magicienne croyait.
Je me déteste de t'avoir fait subir cela, écrit-elle sur un parchemin vierge.
C'est tout ce qu'elle est en mesure de faire. Elle se croirait presque revenue au temps où son mari la battait, ou bien à la période de sa fuite. Ces instants où elle écrivait pour se délester des plaies mentales, à défaut de pouvoir effacer les traces physiques.
Elle écrit. Elle pose sur le papier tout ce qu'elle n'a pas dit, ou pas su dire. À Circé, principalement.
Je croyais que je pouvais m'appuyer sur toi, que ça rendrait ma malédiction plus supportable. Je n'avais pas pensé que si je m'en déchargeais trop, ce serait toi qui ne pourrait plus le supporter.
Parfois, elle lève les yeux au plafond, pas seulement pour chercher ses mots, mais aussi comme si ce qu'elle inscrivait à l'encre indélébile pouvait être transmis à Circé par la force de ses pensées.
Puisqu'elle est tout le temps penchée au dessus de son parchemin, éclairée à la lumière du jour ou bien d'une bougie, Ophelia en oublie parfois de dormir.
Si bien qu'au bout du troisième jour, elle se réveille au beau milieu de la salle à manger, la tête encore posée contre la table en bois. Elle se relève, constate qu'elle s'est endormie sur ses écrits, et que ses derniers mots ont bavé.
Reviens-moi vite, je t'en supplie, disent-ils.
L'amère réalité revient aussitôt, effaçant ses rêves flous et terrifiants.
Elle jette un coup d'œil fatigué par dessus son épaule. Évidemment, Circé n'a pas bougé.
Ophelia est prise d'une pulsion. Elle voudrait secouer sa compagne de toutes ses forces, faire revenir le sang dans ses veines, son coeur, sa tête. Le saignement s'est arrêté grâce aux soins prodigués par Mélité, mais ça n'est pas suffisant. Ophelia voudrait presque embrasser sa bien-aimée, voir si elle parvient ainsi à la réanimer.
Elle secoue la tête, désabusée.
Je vais devenir folle, pense-t-elle.
Un long soupir s'échappe de ses lèvres. Elle détourne le regard, ignorant la sensation que son coeur vient de se briser en mille morceaux une fois de plus.
Et elle se remet à écrire.
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The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...