Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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Circé sent la louve arriver avant de la voir.
Elle jette un coup d'œil à l'enclos, évalue la position la plus efficace pour le défendre, pour empêcher Ophelia de passer.
Et puis elle se retourne vers l'odeur et attend de voir le pelage gris de la louve.
Elle ne tarde pas à apparaître, depuis l'autre côté de la maison. Elle marche lentement, contrairement à leur premier face à face sous formes animales. Elle a l'air prudente. Comme si elle se rappelait le combat qui les avait opposées et les blessures - légères, mais pas indolores - infligées par Circé.
Elles se font face, mais elles restent à distance. La louve semble essayer de trouver une faille, un endroit où la lionne ne pourrait pas l'empêcher de se jeter sur les cochons.
Pourtant, remarque Circé, elle fait deux fois ma taille. Elle pourrait me neutraliseren un rien de temps.
Ophelia ne bouge toujours pas. La magicienne en vient à scruter ses yeux gris-bleu, à humer son parfum, pour essayer de comprendre ce qui fait hésiter la bête.
Mais ce n'est que la deuxième fois qu'elle se change en lionne, et elle ne possède pas encore les réflexes liés à cette nouvelle forme. Elle ne ressent pas le doute qui s'est emparé d'Ophelia en la voyant. Elle ne sait pas que sa compagne a pour la première fois gardé sa lucidité.
Circé montre les crocs. Ses poils se dressent. Elle essaie de se rendre plus imposante qu'elle ne l'est, afin de dissuader la louve de s'approcher.
Malheureusement, ce comportement n'a pas l'effet escompté. Soudain crispée, la louve le prend plutôt comme une déclaration d'hostilité, et elle se remet à marcher, en accélérant progressivement tandis qu'elle se rapproche de Circé.
La magicienne hurle, mais évidemment, ne sort qu'un feulement qui renforce encore son air féroce.
Ophelia lui saute dessus.
Circé panique.
Elle s'est bien défendue, la dernière fois, mais elle a infligé une blessure à la personne qu'elle aime. Elle a peur de reproduire cela, de faire le geste de trop et de heurter Ophelia à un endroit qui lui serait fatal.
Alors elle se recroqueville, n'ose pas riposter. Elle se secoue de toutes ses forces pour déloger la louve de son dos.
Une pensée lui traverse l'esprit : aprèstout, à quoi bon empêcherOphelia de manger ses pourceaux ? Est-ce si grave qu'elle mange à nouveau de la chairhumaine, puisqu'elle est de toutefaçondécidée à rester à Aea ? Si elle finit par dévorertouslesporcs, il adviendraforcément un moment où elle n'aura pas d'autrechoixque de ne plus rassasier son ventre de bête.
Elle n'a pas le temps de pousser plus loin sa réflexion : les griffes de la louve se plantent dans la chair de sa cuisse.
Elle hurle.
Tout s'embrouille autour d'elle. Un deuxième coup la heurte au visage. Sa vue se trouble, se teinte de brun.
Elle perd connaissance.
Lorsqu'elle reprend ses esprits, c'est le soleil à son apogée et le visage d'Ophelia qu'elle découvre, penchés au dessus d'elle.
- Par les dieux ! s'écrie Ophelia. J'ai cru que tu étais morte ! J'ai cru que je t'avais tuée !
Elle a les yeux humides.
Circé se remémore rapidement les événements de la nuit, et ouvre la bouche pour déclarer d'une voix rauque :
- Pas d'inquiétude. Je suis seulement tombée dans les pommes. Tu es plus solide que moi, c'est tout.
Mais sa compagne ne paraît pas rassurée. Ses yeux grands ouverts fixent toujours le visage de la magicienne, comme si elle y voyait quelque chose que Circé ne pouvait pas percevoir.
- Qu'y a-t-il ? demande-t-elle, avant de se mettre à tousser.
Elle porte sa main, légèrement endolorie, à sa bouche. Et lorsqu'elle l'éloigne, elle découvre un liquide marron clair, tirant vers le doré, qui recouvre la paume de sa main dans laquelle elle vient de tousser.
Elle retrouve immédiatement son sérieux.
- Je saigne, murmure-t-elle, avant de reprendre, plus fort. Je saigne, Ophelia, jesaigne !