11 : circé

30 5 0
                                        

Les nymphes sont retournées se coucher

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Les nymphes sont retournées se coucher. Circé est toujours assise sur le lit d'Ophelia, qui semble chercher ses mots. La lune éclaire son visage et le fait paraître encore plus pâle de d'ordinaire.

- Je suis désolée, murmure enfin Ophelia. Je n'ai jamais eu l'habitude de parler.

Elle se tait, lève les yeux au plafond et reprend doucement la parole.

- Ou plutôt, je n'ai jamais eu d'oreille pour m'écouter.

- Je suis là, maintenant, répond Circé.

Elle ne sait pas vraiment ce qui la pousse à rester là, à attendre les confidences d'Ophelia. Elle non plus, ne s'est jamais vraiment confiée. Ce n'était pas avec les dieux qu'on l'aurait laissée parler. Et Ulysse avait bien trop de choses à raconter pour prendre le temps de l'écouter.

- Je m'excuse de ne pas avoir beaucoup parlé. J'étais sous le choc du naufrage, et puis-

- Ça ne fait rien. Je m'excuse, moi aussi, de m'être énervée. Il semble que j'ai la fâcheuse manie de me mettre vite en colère.

- C'est ce que je supposais. Et c'est aussi pour ça que j'avais peur de te parler.

Circé souffle en silence. Cet aveu lui procure un bien inattendu. Et elle doit admettre qu'elle est plutôt impressionnée que son invitée le déclare aussi clairement.

- En général, les gens qui accostent ici ont beaucoup de préjugés sur moi, confirme-t-elle.

- Il y a de quoi ! s'exclame Ophelia, soudain plus loquace. Tu sais, on dit que tu es cruelle, que tu uses tes pouvoirs pour punir des innocents ou séduire des héros.

Circé sent soudain la colère monter dans sa poitrine. Ses poumons se compressent, elle serre les dents. Ophelia le remarque.

- Ont-ils la moindre idée de ce que ces hommes m'ont fait ? murmure la magicienne, presque plus pour elle même que pour son invitée.

- Non, j'imagine que non. Tout ce qui se murmure, maintenant, ça date d'une éternité. Il y a plus de cinquante ans qu'Ulysse est mort, je n'étais même pas née.

Cinquante ans ? Circé a l'impression d'halluciner. Elle qui pensait que le héros l'avait quittée il y a seulement quelques années pour rejoindre sa chère Penélope, voilà qu'elle découvre que plus d'un demi-siècle s'est écoulé.

Ulysse est mort. Bizarrement, cette pensée fait naître en elle un sentiment inconfortable, comme si on lui enfonçait un objet pointu dans la poitrine. Quoi qu'elle se murmure à elle-même, elle n'est pas indifférente au sort de l'homme qu'elle a aimé.

Parce que malgré tout, oui, Circé a aimé Ulysse. Leur histoire n'avait pas bien commencé, mais la façon dont elle s'est finie, beaucoup auraient pû le leur envier. Il aurait pu mourir noyé, ne jamais rentrer à Ithaque ou succomber à n'importe quelle punition des dieux. Penélope aurait pu vouloir se venger de celle avec qui son mari l'avait trompée. Mais elle ne l'a pas fait.

Bouleversée, la magicienne ne se rend pas tout de suite compte du regard curieux qu'Ophelia pose sur elle. C'est seulement lorsque son invitée reprend la parole qu'elle revient à la réalité.

- Circé ?

Elle relève les yeux pour les plonger dans ceux d'Ophelia.

- Excuse-moi. Le temps ne passe pas aussi vite, à Aea. Je ne pensais pas que...

- Qu'autant de temps s'était écoulé ?

- Je ne pensais pas qu'Ulysse n'était déjà plus qu'une légende.

Ophelia semble réfléchir un instant aux mots qu'elle s'apprête à prononcer. Elle baisse le bras, toujours sans lâcher la main de Circé, puis elle finit par murmurer :

- J'ai comme l'impression que je ne suis pas la seule à avoir des choses à raconter.

The BeastOù les histoires vivent. Découvrez maintenant