Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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- Qu'est-ce que tu fais là ? demande Circé à sa mère lorsqu'elle la découvre à son chevet. C'est encore pour me faire des remontrances ?
Elle se redresse, toujours avec difficulté, même si cette fois, elle est préparée à la douleur qui la submerge. Elle se contente de grimacer sans lâcher Hécate du regard.
- Pas vraiment, répond la déesse. Je venais voir comment tu allais.
Circé fronce les sourcils.
- Et depuis quand mon état t'importe ?
Hécate ne répond pas tout de suite. Elle se dirige vers la fenêtre de la chambre et tire le rideau pour faire apparaître la lumière du jour. Circé est aveuglée pendant un instant. Elle relance :
- Décidemment, tu es pleine de surprises aujourd'hui. Toi qui aime vivre dans l'obscurité, je crois ne jamais t'avoir vu ouvrir les rideaux.
Hécate hausse les épaules.
- J'ai peut-être changé, depuis le temps que tu as quitté ma maison, Circé.
- Oh, vraiment ? J'en doute. Je te rappelle que tu es venue plusieurs fois me "mettre en garde" contre Ophelia, récemment. Tes visites ne m'ont pas donné l'impression que tu avais changé.
Elle tourne la tête vers la fenêtre, et s'étonne :
- Les pommiers sont en fleurs ?
C'est au tour de sa mère de froncer les sourcils.
- Eh bien, oui.
- Hécate, quand est-on ?
- C'est le printemps, Circé. Voir des arbres fruitiers en fleurs n'a rien de bien étonnant.
Mais Circé reste perplexe. Il lui semble que... Elle n'a toujours pas de souvenirs de ce qui s'est passé avant qu'elle se réveille à cette blessure. Mais elle était pourtant sûre d'être en hiver.
- Depuis combien de temps est-ce que je dors ?
Elle commence à douter. Se pourrait-il qu'elle ait été inconsciente si longtemps ? Tout compte fait, elle n'a peut-être pas fait tous ces rêves en l'espace d'une ou deux nuits.
- Quelques lunes, répond Hécate, les lèvres pincées. Environ six lunes, si je ne me trompe pas.
- Mais... Ce n'est pas possible... !
Une nouvelle fois, la mimique de sa mère lui semble étrange.
- Qu'est-ce que tu es en train de me cacher ? reprend-elle d'un ton soupçonneux. Et au fait, où est Ophelia ?
La déesse lâche un soupir. Puis, en évitant le regard de sa fille, elle dit du bout des lèvres :
- C'est Ophelia qui t'a blessée. Une nuit de pleine lune.
Brusquement, des flashs font irruption dans les pensées de Circé. Tout est flou, violent, elle distingue des poils gris, des feulements... Du sang qui coule...
- Je... Je crois que je me souviens.
- Ensuite, elle a tué cette nymphe, la chétive qui ne sortait jamais de sa chambre.
Circé plaque sa main contre sa bouche bée.
- Chloris ? Oh, Hécate...
Comment sa mère peut-elle conserver son calme en énumérant de tels faits ?
- Ensuite, les deux autres nymphes ont quitté l'île, j'ai entendu dire qu'elles avaient eu peur d'Ophelia. La mortelle est restée longtemps ici, Hélios m'a dit qu'elle devenait de plus en plus incohérente, lorsqu'il passait au dessus d'elle. J'imagine que ça explique pourquoi elle a pris la mer, elle a dû devenir folle...
Une nouvelle fois, Circé se retrouve privée de mots.
Ophelia, prendre la mer ?
Les menaces de Poséidon sont encore fraîches dans l'esprit de la magicienne.
Tout cela n'annonce rien de bon.
- Hécate, ne me dis pas que-
Elle ne termine pas sa phrase. La lueur dans les yeux de sa mère lui donne la réponse qu'elle attendait.
- Non. Non, non, non, ce n'est pas possible.
Je ne peux pas y croire.
- Je l'avais mise en garde contre Poséidon ! Pourquoi, par Hadès, s'est-elle mise en tête de partir en mer ?
La respiration de Circé s'emballe, et chaque fois que son ventre s'agite, une nouvelle vague de douleur l'assaille.
- Je n'en sais rien, mais si, comme Hélios me l'a rapporté, ta mortelle avait perdu la tête, alors je peux comprendre qu'elle soit partie. Ou peut-être qu'elle ne pouvait plus rester ici, seule. Elle croyait que tu étais morte.
- Oh, maman, tu l'as vue ?
Trop concentrée sur sa douleur et les larmes qui commencent à parler dans ses yeux, Circé ne se rend même pas compte du terme qu'elle emploie et de la réaction épidermique de Hécate au mot "maman".
- Tu te doutes bien que oui. Je l'ai conduite aux Enfers.
- Je vais tuer Poséidon.
- Inutile de te rappeler qu'il est immortel et frère de Zeus, je suppose ...?
- Je vais tous les tuer, reprend Circé sans accorder d'intérêt aux paroles de sa mère. Si tous ces dieux de malheur n'existaient pas, la vie de tout le monde aurait été bien plus facile !
- Et tu n'aurais pas existé.
- Vas t'en, Hécate. Laisse moi en paix. J'ai besoin d'être seule.
Mais la déesse ne bouge pas.
- Vas t'en ! assène Circé.
Alors, enfin, la silhouette de sa mère disparaît. Elle se retrouve seule dans cette chambre qui n'est pas la sienne. Elle est recroquevillée dans son lit, les jours inondées de larmes.
Elle relève la tête et renifle pour éviter que son nez coule. C'est alors qu'elle pose ses yeux embués sur la niche creusée dans le mur, juste à côté du lit.
Dans cette niche, elle voit plusieurs feuillets de parchemin.
Il n'y a qu'Ophelia qui écrivait, ici.
Circé tend le bras malgré la douleur et attrape le paquet de feuilles. Et elle se met à lire.