Elle s'est préparée aux émotions qui refont surface. Elle sait qu'à son tour, l'histoire qu'elle va raconter ne sera pas plaisante. Mais elle sent aussi que c'est le bon moment. Ophelia lui a prouvé qu'elle avait confiance en lui parlant de sa malédiction.
Maintenant, c'est au tour de Circé.
— Ma mère était la première à être nommée déesse de la lune.
Elle jette un coup d'oeil par la fenêtre. Les nuages ont disparu, faisant revenir la nouvelle lune.
— Mais peu de temps après, Séléné est née, puis Artémis. Le temps passait et ma mère devenait de plus en plus jalouse, car elle avait l'impression que les deux autres lui volaient le rôle qu'elle avait eu dès le début. Quand j'étais petite, elle m'a appris dès le début à détester sa cousine Artémis, à détester Séléné, à cause de qui, elle était reléguée à la place de la lune mourante.
Des centaines d'années sont passées depuis, mais Circé revoit encore les colères brusques d'Hécate lorsqu'elle était confrontée aux deux déesses. Les pièces du palais d'Hécate, quelque part dans les Enfers, s'emplissaient de fumée, et c'est à peine si la jeune Circé reconnaissait sa mère.
— Hécate nous a toujours dit, à moi et Scylla, qu'elle plaçait beaucoup d'espoirs en nous. J'étais la première née, mais mon père était un mortel, si bien qu'elle a rapidement jugé que Scylla serait plus apte à se faire une place sur l'Olympe. Elle était la plus belle de nous deux, c'est vrai, mais aussi la plus sociable. Ma mère espérait qu'elle deviendrait une divinité majeure. C'était une manière de se venger de la dégradation de son titre de déesse de la lune. Enfin, c'est comme ça que je le vois.
— Pourquoi ne pas vous élever toutes les deux dans cette optique, alors ? remarque Ophelia.
Les deux femmes échangent un regard.
— Déjà, parce que comme je viens de te le dire, le statut de mon père faisait de moi, dès ma naissance, une déesse moins importante que les autres. Je ne devrais même pas dire déesse, d'ailleurs. Je n'ai que la moitié du sang de ma mère. Mais surtout, Hécate avait d'autres projets pour moi. Au fil du temps, elle était devenue une experte dans l'art de la sorcellerie. Et elle voulait me former pour que moi aussi, j'atteigne un jour son niveau. Enfin, du moins, un niveau suffisant pour être respectée à ma manière.
— Mais tu m'as dit que les dieux n'appréciaient pas vraiment la maîtrise de la sorcellerie...
— C'est vrai, mais tant que tu mets tes talents à leurs services, ils seraient stupides de ne pas les utiliser. Ca, Hécate l'a accepté.
— Pas toi ?
Circé se retourne sur le côté pour pouvoir observer sa compagne.
— On ne m'a pas vraiment laissé le choix, à l'époque. Mais c'est vrai que si on m'avait posé la question aujourd'hui, je n'aurais pas accepté. Je n'ai pas envie d'être le jouet des dieux majeurs.
— Je comprends.
— Donc, ma mère a commencé à m'enseigner tout ce qu'elle savait. Les cours avaient lieu la nuit, dans son laboratoire, au fin fond de son palais. Souvent, je passais la première moitié de la nuit en tête à tête avec elle, puis, nous étions rejointes par une des filles d'Océan. Elle s'appelait...
La magicienne se tait. Le voilà, le point le plus dur de toute l'histoire. Le voilà, ce prénom qu'elle n'a pas osé prononcer, même dans ses pensées, depuis qu'elle a été exilée. Elle s'était juré de l'oublier. Mais si elle veut livrer le récit complet à Ophelia, elle doit la mentionner. Sans elle, l'histoire serait criblée de trous, et il serait possible, comme les dieux l'avaient fait, de mal l'interpréter.
— Comment s'appelait-elle ? relance Ophelia, qui a bien vu son trouble.
Circé souffle un grand coup.
— Son nom, c'était Thracé.
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The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...