Suis-je en train de mourir ? se demande Circé alors que le décor change une fois de plus, comme si sa vie defilait devant ses yeux avant de rendre son dernier souffle.
Cette fois, elle se trouve dans la grande salle de réception du palais d'Hécate. C'est probablement la pièce la moins sordide du bâtiment, car malgré le goût de la déesse pour tout ce qui est sombre, sinistre, effrayant, elle soit tout de même être accueillante pour les invités.
Des flammes violettes brûlent dans les cheminées, un des tours de passe passe d'Hécate, et des miroirs amplifient l'espace de la pièce. Cela donne à la salle de réception un effet à la fois hypnotisant et intime.
Parfait pour apaiser la colère des deux invitées de la maîtresse de maison.
Circé ne peut s'empêcher d'être intriguée lorsqu'elle reconnaît la chevelure argentée de Séléné et l'arc d'Artémis posé au pied de son siège. C'est encore un des souvenirs qui l'ont marquée lorsqu'elle était petite, mais cette fois, elle n'avait pas eu l'autorisation d'entrer dans la pièce pendant que sa mère recevait les deux déesses. Elle s'était donc dissimulée derrière une amphore pour suivre toute la conversation sans être remarquée.
Comme la grande Circé se sait maintenant invisible aux yeux d'Hécate et de ses invitées, elle en profite pour faire le tour de la pièce et débusquer la petite Circé.
Bien à son poste, sa taille enfantine parfaitement dissimulée par l'énorme amphore de vin, elle passe inaperçu.
La magicienne lui adresse un clin d'œil, même si elle sait que son double ne la verra pas. Elle envierait presque la petite Circé d'être encore à ce moment de l'enfance où tout paraît possible, où elle va et vient dans la liberté la plus totale, osant encore désobéir à sa mère.
- Je suis désolée, murmure-t-elle.
Elle a l'impression de s'être trahie, lorsqu'elle a grandi et qu'elle s'est mise à craindre les fureurs d'Hécate, à marcher sur la pointe des pieds de peur de la déranger.
- On va vivre des choses difficiles, continue-t-elle en s'agenouillant auprès de la petite Circé. On aura une soeur, mais pas une compagne de jeu. On n'arrivera jamais à s'entendre, avec Scylla. Et on finira par la transformer par erreur.
La petite ne réagit pas, bien sûr. Mais il y a un côté libérateur à s'excuser ainsi au près de son double du passé, tout en sachant pertinemment que ces mots n'auront aucun impact sur elle.
En revanche, ils en ont sur la grande Circé.
- Mais tu verras, on aura aussi la chance d'être libres, de faire ce qu'on veut de nos pouvoirs. On aura la chance de rencontrer des personnes incroyables, des dieux, des héros. Des mortelles qui nous paraîtront d'abord insignifiantes, mais que notre coeur va choisir et avec qui on pourra être nous mêmes.
Elle soupire, essuie la larme qui a perlé au coin de son oeil.
- On aura tout ça, petite Circé, je te le promets.
Contenant difficilement son émotion, elle se relève malgré tout. Son regard dévie sur les trois déesse lunaires, qui se sont levées et se serrent la main, les visages résignés.
Un sourire traverse les larmes de la grande Circé. On lui a offert la possibilité de comprendre ce qui s'est joué pendant cette conversation, mais au final, elle n'y a pas prête une oreille, trop émue par l'enfant cachée derrière l'amphore.
La suite, elle la connaît : Hécate va raccompagner Artémis et Séléné, et quand elle reviendra, elle rejettera sa colère contre la petite Circé. Elle aura cédé deux tiers de son pouvoir sur la Lune, et elle ne s'en remettra jamais.
VOUS LISEZ
The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...