100 : circé

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Les embruns et le vent fouettent le visage de Circé

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Les embruns et le vent fouettent le visage de Circé. Son corps est instable, comme ballotté par les flots.

Elle ouvre les yeux.

Cette fois, elle n'est plus dans le palais sombre de Hécate, mais sur un bateau.

Elle regarde autour d'elle. Elle se trouve sur le pont, accoudée au bastingage, et curieusement, autour d'elle, elle ne distingue aucun matin.

Elle frissonne. Pas seulement de froid, mais aussi parce qu'elle croit savoir ce qu'elle fait là.

Après lui avoir fait revivre des fragments de sa jeunesse, sa relation avec Hécate et avec Thracé, son esprit ne serait tout de même pas assez tordu pour la mettre face à son pire cauchemar, si ?

Prions pour que je me trompe. Prions pour que ce soit Ulysse. Ça n'est pas l'idéal non plus, mais c'est ce qu'elle peut espérer de mieux.

Mais le bateau avance et personne ne vient la déranger.

Soudain, une ombre se dresse sur le côté du bateau. Un immense rocher apparaît, et Circé fronce les sourcils. Comme ses cheveux volent au vent et perturbent sa vision, elle les plaque à l'arrière de son crâne et plisse les yeux pour distinguer les détails du rocher.

En son centre, s'ouvre une grande cavité dont Circé n'arrive pas à percevoir l'intérieur, à cause de l'obscurité.

Le vent la fait frémir de nouveau. Et puis, alors que le bateau approche du rocher, l'eau de mer l'éclabousse et une goutte salée entre dans son oeil.

- Ah !

Circé porte la main à son oeil, aveuglée pendant un instant.

Soudain, un grognement guttural et terrifiant se fait entendre.

Circé rouvre les yeux, tant bien que mal.

Et son sang divin se glace dans ses veines.

De la cavité obscure émergent désormais, l'un après l'autre, six longs cous, au bout desquels se trouvent six têtes monstrueuses, sans yeux, mais avec beaucoup de dents pointues.

La peau de la créature est verdâtre, parsemée d'aspérités. Elle n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était autrefois.

Circé reste muette pendant quelques secondes, alors que les têtes de sa monstrueuse sœur s'approchent dangereusement d'elle.

Elle ne fera qu'une bouchée de moi, songe-t-elle. Elle doit avoir hâte de se venger, après ce que je lui ai infligé.

Elle supplie le bateau de continuer sur sa lancée, de fendre les flots pour s'éloigner au plus vite. Mais, ironiquement, il semble plutôt ralentir.

- Je suis désolée, Scylla, je suis tellement désolée, crie-t-elle alors.

Son cri est emporté par le vent et se perd dans l'immensité du ciel.

Elle est maintenant si proche des têtes qu'elle peut sentir l'odeur de Scylla, un mélange de parfum marin avec quelque chose qui lui évoque des fruits en décomposition.

Scylla grogne de nouveau, et Circé est forcée de se boucher les oreilles.

Bon. Elle se doute que sa sœur n'a pas accepté ses excuses.

- Je... J'étais jeune et j'étais bête, continue-t-elle malgré le danger imminent. J'étais jalouse de toi, Scylla. Moi aussi, je voulais sortir du palais d'Hécate, rencontrer tout le gratin olympien à ces fêtes auxquelles tu participais.

Le cou le plus proche de Circé se tord bizarrement. Scylla cesse d'avancer et semble écouter les paroles de son aînée.

- Au lieu de ça, j'étais forcée de rester dans l'atelier de notre mère à préparer des sorts, des potions. Tout ça parce que mon père n'était pas aussi haut placé que le tien. J'avais une seule amie, tu sais ?

Elle reprend un peu d'assurance, et fixe l'une des têtes du monstre.

- La seule personne extérieure à la famille avec qui j'étais autorisée à passer du temps, c'était Thracé. Alors quand... Alors quand j'ai compris que vous étiez proches aussi, j'ai... J'ai perdu la tête et j'ai commis une grosse erreur. Tu peux comprendre ça ?

Nouveau rugissement. À nouveau, les têtes s'agitent.

Circé prend son courage à deux mains, et alors qu'elle est maintenant à portée des dents de Circé, elle finit de se confesser :

- J'étais amoureuse de Thracé, voilà la vérité. Et même si je n'ai jamais su ce qu'il y avait entre vous deux, j'étais mortellement jalouse de toi.

Une des bouches du monstre s'ouvre, et son haleine fair tressaillir Circé. Mais elle ne flanche pas.

- Je sais que tu ne pourras sans doute pas me pardonner, Scylla. Je sais que je t'ai fait subir quelque chose que jamais personne ne devrait subir. Je sais que je me suis laissée emporter par mes émotions au lieu de réfléchir de manière rationnelle. Et j'en suis sincèrement désolée, d'accord ? Je comprendrais que tu ne me pardonnes pas, mais... Pourras-tu essayer de me comprendre ?

Elle ferme les yeux, prête à accepter sa sentence, quelle qu'elle soit.

Mais rien ne se passe. Le vent redouble, et quand elle rouvre les yeux, Circé découvre que le bateau avance de nouveau, et a enfin dépassé le rocher de Scylla.

Au loin, les six têtes de sa soeur sont encore sorties de la cavité, et lui adressent en choeur un dernier grognement, un peu plus apaisé.

Circé fond en larmes.

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