The Beast

35 : ophelia

Ophelia est enfermée seule dans le noir, dans la chambre de Circé. Elle a eu le temps de s'habituer à l'obscurité et de détailler un peu la pièce, son lit simple, ses draps blancs, la petite fenêtre ronde qui donne sur la mer et surtout l'absence totale de bibelots.

Mais le temps passe, et ne pas avoir de nouvelles de sa compagne l'angoisse. Elle sait que la magicienne ne se débarrassera pas de tout un équipage de marins aussi facilement, mais elle se demander combien de temps cela va durer.

Que peuvent-ils être en train de se raconter, en bas ?

Car Ophelia les a entendus lorsqu'ils sont entrés, qu'ils ont fait glisser les bancs et les chaises sur le parterre. Elle n'a manqué aucun de leurs éclats de rire, qui lui parviennent presque aussi clairement que s'ils se trouvaient dans sa cachette.

Elle n'arrive toutefois pas à saisir les conversations. Et cette incertitude sur ce qui se passe un étage au dessous est insoutenable.

Quand je pense que j'ai laissé Circé seule avec ses démons. Mais qu'est-ce qui m'a pris d'obéir à ses ordres ? N'a-t-elle pas déjà montré qu'elle ne mérite pas ma confiance ?

C'est alors que le cri déchire l'air déjà tendu.

Celui-là, Ophelia le comprend immédiatement.

- LÂCHEZ-MOI !

Elle bondit du lit où elle s'était assise depuis le départ de la magicienne.

Circé a besoin d'aide.

Ophelia se moque bien de la promesse qu'elle lui a faite. Circé a besoin d'aide et ce ne sont pas les nymphes qui lui seront d'un grand secours.

Pourquoi l'as-tu laissée gérer ? se sermonne-t-elle.

Elle se met aussitôt en action. Déplace la planche, pose ses pieds sur le barreau le plus haut de l'échelle. Descend prudemment.

Elle arrive dans la cuisine en tremblant. Elle a beau savoir qu'elle fait cela pour sortir Circé du pétrin, la peur lui fait presque regretter d'être sortie de sa cachette. Après tout, la magicienne l'a bien dit. Elle aussi, a vécu la domination des hommes. Elle aussi s'est retrouvée bien trop souvent seule face à leur pouvoir et leur soif de chair.

Rappelle-toi que tu es une louve. Tu n'as rien à craindre d'eux, tu es armée pour les affronter. Ce ne sont pas leurs poings ni leur voix en colère qui vont d'effrayer. Cette fois, Ophelia, pas question de t'écraser.

Et elle passe le rideau qui ouvre sur la pièce principale.

Une tripotée de regards masculins se tournent vers elle, la dévisagent. Bon sang, il lui semble que cela fait une éternité qu'elle n'a pas été sondée ainsi.

- Alors comme ça, il n'y a qu'une poignée de nymphes sur cette île, hein ?

C'est celui qui semble être leur chef, qui a parlé. C'est celui qui a les mains sur Circé.

- Vous n'avez pas entendu ce qu'elle vous a dit ? assène Ophelia, prise d'un soudain élan de courage. Lâchez-la.

Circé paraît sur le point de dire quelque chose, mais à cet instant, plusieurs marins accourrent vers Ophelia et l'immobilisent.

Elle hurle, se débat. Donne des coups de coude, des coups de pieds. Mais ils sont trop nombreux, et elle a beau ne pas être dépourvue de muscles, ils ne sont pas à la hauteur de ces hommes aguerris.

- ÇA SUFFIT ! tonne soudain la magicienne.

Un instant, le temps semble s'arrêter.

Et puis un nuage noir entoure Circé, un nuage qui éteint les bougies, aveugle les marins et souffle un vent glacial dans la pièce.