Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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- Je t'avais prévenue.
Hécate est assise dans l'obscurité, et Circé ne distingue que ses yeux et ceux du chien que sa mère caresse.
Elle se renfrogne. Évidemment, sa mère ne peut s'empêcher de lui montrer qu'elle a tort, une fois de plus.
Maintenant qu'Ophelia et elle s'étaient avoué leurs sentiments avec franchise, elle croyait que ce serait plus simple. Elle aime Ophelia, Ophelia l'aime en retour, il n'y a pas de quoi s'inquiéter, non ?
Mais Hécate l'avait bel et bien prévenue que tout ne serait pas aussi simple. Et ces derniers temps, alors que le moral d'Ophelia semble être au beau fixe, Circé ne peut s'empêcher de penser à l'avenir.
L'avenir qu'elles n'ont pas. Du moins, que sa compagne n'a pas. Car Ophelia est mortelle.
Circé croyait que cela n'avait pas d'importance, tant qu'elles restaient ensemble. En réalité, plus les jours passent, plus son attachement s'intensifie et moins elle croit être capable de surmonter l'idée de la mort de son amie.
Et dans ses rêves, Hécate ne se prive pas de le lui rappeler.
La respiration de la magicienne s'accélère. Pourquoi ne puis-je pas m'empêcherd'ypenser ? Pourquoi ne puis-jetoutsimplement pas profiter de toutescesannées qui me restent à ses côtés ?
- Quelques années passent vite, pour nous autres immortels, renchérit sa mère, qui, dans ses rêves, parvient toujours à deviner ses moindres pensées.
- Çasuffit !
Et en criant, Circé se réveille.
Elle a besoin d'air. Elle a besoin de se changer les idées. Alors elle sort.
Elle appelle sa lionne, qui la suit à pas feutrés jusqu'à la falaise.
Il n'y a presque pas de vent, cette nuit là. Circé soupire. Elle aime lorsque les éléments d'Aea la défient. Elle aime sentir ses cheveux lui fouetter le visage, les embruns éclabousser sa peau et y laisser de petits grains de sels. Elle a l'impression d'être vivante.
Mais cette nuit, Eole retient sa respiration, comme pour la narguer.
Elle s'asseoit non loin de Pitys. Se perd dans la contemplation de l'océan paisible. Et elle pense encore à ce qui la tracasse.
- Par Aphrodite, est-ce trop demander que d'espérer un amour qui finit bien ?
Elle lance cette requête sans attendre de réponse, elle ne l'adresse à personne.
Pourtant, quelques minutes plus tard, elle entend derrière elle des bruits de pas, discrets certes, mais pas inaudibles.
Elle se retourne.
Et s'immobilise de stupéfaction.
La personne qui se tient devant elle, Circé ne l'a vue qu'une seule fois dans sa vie, et de loin. Mais elle dégage un tel magnétisme, avec ses boucles blondes tombant sur les épaules et sa robe translucide, qu'elle ne peut se tromper.
Sans un mot, la femme s'asseoit à ses côtés.
- Que fais-tu ici ? demande la magicienne. Est-ce ton père qui t'envoie ?
La déesse secoue la tête, le sourire aux lèvres.
- Tu as déjà oublié que tu m'as appelée ?
- Oh. En effet. Mais tout le monde jure sur les dieux, tout le temps. Ne me fais pas croire que vous vous déplacez à chaque fois.
Le rire cristallin de la déesse retentit dans le calme de la nuit.
- Tu marques un point, sorcière. Mais je dois t'avouer que ton histoire m'intrigue. Sais-tu ce que j'aime plus que les histoires d'amour ?
Circé secoue la tête.
- Les histoires d'amour compliquées. Et ta relation avec cette mortelle maudite a de quoi m'intriguer.
Circé grogne. Elle affronte la déesse du regard et rétorque :
- Ainsi, tu ne me rends visite que pour t'abreuver de mon malheur ? Ou peut-être même espères-tu y mettre ton grain de sel ? Il n'en est pas question, Aphrodite ! Ulysse m'a raconté Troie, tu sais !
Aphrodite fait la moue, faussement vexée par l'accusation, pourtant vraie.
- À vrai dire, je voulais simplement discuter. Je t'aime bien, Circé. J'étais triste pour toi lorsque mon père a rendu sa sentence. Je ne voulais pas que ça se termine de cette manière. J'aurais pris ta défense, si seulement Zeus nous avait consulté, nous autres. Il prétend que tout le monde a son mot à dire dans les décisions de l'Olympe, mais nous savons tous la vérité. Enfin, c'est un autre sujet. Je t'aurais défendue. De toute manière, je n'aimais pas cette petite peste de Scylla-
- Parce que tous les garçons n'avaient d'yeux que pour elle ! Bien sûr, tu es satisfaite de ce qui lui est arrivé, toi ! Tu n'as pas eu à bouger le petit doigt, et une de tes plus grandes rivales était écartée de ton chemin !
La déesse laisse échapper un petit rire.
- Tu as peut-être un peu raison. Mais je suis la seule à avoir compris ce qui était vraimentarrivé, Circé. Tu n'en avais rien à faire se Glaucos. Tu voulais seulement que Thra-
- Tais-toi.
- Hmm, c'est encore un point sensible ? Après toutes ces centaines d'années ? Après l'arrivée de cette mortelle ?
- Tais-toi, je te dis. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Mais dans le fond, Circé sait qu'Aphrodite a très bien compris la vérité.
- Peu importe, élude cette dernière. Écoute, je t'assure, je n'avais pas de mauvaises intentions en venant te voir ce soir. Je voulais simplement te dire que je te comprends. Je ne peux pas te dire que tout sera simple, parce je n'ai pas la main sur vos destins. Mais si tu acceptes un conseil d'amie...
- Nous ne sommes pas amies, Aphrodite. Mais vas-y.
- À ta place, je ne m'en ferais pas trop. Profite du temps que tu as avec elle, c'est ce que tu peux faire de mieux, Circé. Et lorsque le moment sera venu... Ne regarde pas en arrière. Tu la perdras, tu le sais. Mais il n'y a qu'en avançant que tu ira mieux.
Circé ne répond pas. Les yeux rivés sur les premières lueurs du jour qui se pointent à l'horizon, elle intègre les mots justes de la déesse et y réfléchit. Oui, elle a raison. Quejem'inquiète ou pas, ça ne changera pas le sortd'Ophelia.