Stupéfaite, Circé ne trouve pas tout de suite comment répliquer. Ses yeux détaillent les joues écarlates d'Ophelia, et elle devine qu'elle doit arborer les mêmes couleurs. Elle détourne le regard, se penche sur sa potion.
De l'écume s'est formé à la surface du liquide. La magicienne peste.
— Eh mince, j'ai laissé chauffer trop longtemps !
Elle éteint le feu d'un souffle puissant, puis se redresse.
La chaleur se dissipe de la pièce, mais pas encore de son corps. Elle soupire et plante à nouveau ses yeux dans ceux de sa compagne.
— Tu regrettes ce baiser, alors ? demande-t-elle.
Comme Ophelia semble ne pas savoir que dire, elle poursuit :
— Tu sais, moi, la seule chose que je regrette à ce propos, c'est qu'il n'ait pas duré plus longtemps.
Ca y est, c'est dit. Elle s'est lancée à l'eau. Oui, enfin, ce n'est pas comme si tu n'avais pas été assez claire la dernière fois. Dommage qu'elle ne partage pas tes sentiments.
Elle fait taire la voix dans sa tête. Peu importe. Hécate a raison, même s'il ne s'agissait que d'un rêve. Elle ne va tout de même pas attendre les bras croisés qu'Ophelia la confronte sur ses sentiments. Circé a bien vu comment ella réagi à chaque fois : elle s'est enfuie.
Une minute. Ne vient-elle pas de s'excuser de s'être enfuie ?
Elle est perdue, et cela doit se voir dans ses yeux, puisque sa compagne répond :
— Eh bien, je ne pensais pas que ce serait si facile de te déstabiliser !
La magicienne éclate de rire.
— Oh, je suis certaine que tu en avais une bonne idée ! Mais puisque je t'ai donné mon point de vue sur ce baiser, je te serais reconnaissante si tu m'expliquais le tien ! Tu te doutes que j'y ai beaucoup réfléchi, mais je n'arrive toujours pas à savoir ce qui t'est passé par la tête.
Ophelia fait encore un pas en avant. Les deux femmes sont proches, leurs bras se frôlent presque.
— Tu veux dire, quand je t'ai embrassée, ou quand j'ai pris la fuite juste après ?
— Les deux, rétorque Circé.
— Le truc, c'est que je ne sais pas vraiment. Sur le moment, je crois que j'ai simplement été emportée par... je sais pas, l'ambiance, la joie que je ressentais. Et après... je suis vite revenue à la réalité, j'ai réalisé que c'était une erreur-
— Donc, tu le vois vraiment comme une erreur.
Circé baisse les yeux, soupire. La petite voix a peut-être bien raison, en fin de compte. Il n'y aura jamais rien du côté d'Ophelia.
— C'est ce que j'ai pensé quand c'est arrivé, en tout cas. C'est pour ça que je suis partie. J'avais besoin de mettre au clair ce qui venait de se passer. Mais plus le temps passe... moins c'est clair, en réalité.
Elle laisse une courte pause, avant de reprendre, dans un rire nerveux :
— Enfin, ça m'apprendra à réflechir avant d'agir, la prochaine fois-
La magicienne relève les yeux.
— La prochaine fois que quoi ? La prochaine fois que tu voudras m'embrasser ?
Avec un air de défi, Ophelia soutient son regard.
— J'allais dire "la prochaine fois que je serais sur le point d'embrasser quelqu'un dans un moment d'euphorie". Donc oui, ça inclut cette possibilité.
Cette fois, une lueur de complicité passe dans leurs yeux.
— Tu veux dire que tu as envie de réitérer l'expérience ?
Consciente de leur proximité, Circé ose lever la main, pour la faire glisser sur la joue de son invitée. Les joues d'Ophelia prennent une couleur encore plus vive, mais elle ne se démonte pas, ne détourne pas le regard. Circé recule alors, laisse retomber sa main.
— Et bien, si l'occasion se présente... Cela dit, je ne vois pas pourquoi ce serait toujours à moi de prendre l'initiative.
— Tu n'as pas tort.
C'est maintenant ou jamais.
La magicienne attrape le poignet de sa compagne, l'attire vers elle. Ses mains remontent vers son visage. Elle s'approche. Encore et encore. Leurs souffles se mélangent. Ophelia a fermé les yeux et a passé son bras dans le dos de Circé. Les doigts de Circé, eux, explorent les cheveux clairs de la jeune femme.
Et enfin, les lèvres de l'une se posent sur celles de l'autre.
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The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...