Thracé. A la seule mention de son prénom, des images reviennent à l'esprit de Circé. Un peu comme à Ophelia aujourd'hui, elle s'était attachée à Thracé sans même s'en rendre compte. Ca passait par des petits détails, comme le sourire qui illuminait son visage lorsqu'elle réussissait un enchantement et que Hécate la complimentait, ou encore son rire original et communicatif. Lors de leurs leçons à la lumière de la lune, Circé a senti, pour la première fois de sa vie, qu'elle pouvait être elle-même jusqu'au bout.
Quand elle raconte ces petits plaisirs, les yeux d'Ophelia deviennent profonds, comme si elle absorbait la moindre info pour y réfléchir de manière intense. La magicienne n'essaie pas de cacher l'évidence : elle a été terriblement amoureuse de Thracé.
— Je sais que je ne voyais presque personne d'autre, à cette époque là. Je restais la plupart du temps enfermée dans le palais de ma mère. Alors c'est vrai, je me suis peut-être attachée à la première venue qui n'était pas de ma famille. Et surtout, je me suis sans doute attachée trop vite. Et tu sais ce qu'on dit : plus on approche du sommet, plus on risque de tomber de haut.
Le visage de sa compagne est plein de sollicitude. Elle semble tant absorbée par l'histoire de Circé que ses larmes ont séché. Sous les draps, ses mains viennent trouver celles de la magicienne et leurs doigts s'entremêlent. Le coeur de Circé fait un bond. Elle chérit ce contact en resserrant l'étreinte.
— Que s'est-il passé, alors ? s'enquiert Ophelia.
— Il paraît que Scylla faisait tourner les têtes des garçons, aux fêtes olympiennes auxquelles elle assistait. Elle semblait adorer être le centre de l'attention, mais en revanche, elle ne leur retournait jamais son intérêt. En fait, elle ne cherchait pas le regard des hommes.
— Celui des femmes, alors, devine sa compagne.
— C'est ce que je pense. Mais tout ce que je te dis à propos de Scylla, je l'ai glané ici et là, lors de mes trop rares discussions avec des dieux mineurs et des nymphes. Ce ne sont que des rumeurs et des suppositions. Ma soeur et moi n'avons jamais vraiment été du genre à nous raconter nos journées. Et un soir, alors que j'étais à ma leçon et que j'attendais avec impatience que Thracé se pointe, j'ai entendu Scylla rentrer.
Sa voix diminue en intensité. Ophelia se rapproche, ce qui fait sourire Circé. Mais son sourire s'évapore bien vite face à ce qu'elle s'apprête à raconter.
— J'ai réalisé que ma soeur était accompagnée. Elle parlait plus fort que d'habitude, et j'ai entendu une voix, bien que plus faible, qui lui répondait. Hécate a quitté la pièce pour aller la voir, alors je l'ai suivi. Et c'est là que j'ai vu...
Elle fait une pause pour respirer. L'air de la chambre est chaud. Ou bien est-ce son souvenir qui lui bloque soudain les poumons ? Elle repousse un peu la couverture, de sorte que sa poitrine est de nouveau à nu.
— Tu n'es pas obligée de tout me raconter ce soir, intervient Ophelia. J'ai eu besoin de m'y reprendre plusieurs fois pour te livrer mon histoire. Je comprendrai s'il en va de même pour toi.
— Je voudrais juste m'en débarrasser, soupire Circé.
Etrangement, cela lui fait du bien de le verbaliser.
— Je crois que... j'ai tellement voulu enfouir toute cette histoire au plus profond de ma mémoire, c'est normal que ce soit douloureux. J'avais peur que d'en parler soit comme de le revivre une deuxième fois. Mais peut-être que parler me permettra finalement de mieux laisser tout ça derrière moi. D'être en paix.
Sa compagne sourit. Leurs doigts se détachent, mais la main d'Ophelia remonte le long du bras de la magicienne, puis dans son cou, jusqu'à sa joue. La caresse lui fait du bien. Sa respiration s'apaise enfin.
Alors elle continue.
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The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...