Les questions d'Ophelia ont rappelé à Circé sa propre famille. Les a-t-elle un jour réellement considérés comme sa famille ? Elle n'en est pas certaine.
Mais la dernière phrase de son invitée l'arrête dans son élan.
Cette conversation lui donnait jusqu'à présent l'impression d'en apprendre un peu plus sur le mystère que constitue Ophelia. Mais alors qu'elle se croyait rassasiée dans sa curiosité, voilà que de nouvelles questions font irruption dans son esprit.
Qu'est-il arrivé au père de la naufragée ? En quoi cette dernière est-elle impliquée ? Et est-ce la raison qui l'a poussée à quitter le village où elle est née ?
Évidemment, la magicienne n'ose pas. Elle ne veut pas qu'Ophelia s'enferme se nouveau dans son mutisme. Elle est obligée de l'admettre, elle s'est attachée à cette fille qu'elle a secourue dans la tempête. Elle s'est attachée à sa présence, mais surtout à leurs discussions, parfois banales, parfois profondes.
Elle souffle le feu qui lèche les parois de sa marmite. Plus qu'à attendre que ça refroidisse.
Elle se tourne alors de nouveau vers son invitée, qui ne l'a pas lâchée des yeux. Circé se sent soudain mise à nu, sous ce regard perçant mais aussi lointain.
- Tu ne m'as jamais parlé de ta famille, demande alors Ophelia, avec un peu plus d'assurance qu'auparavant.
- Parce qu'il n'y a pas grand-chose à en dire.
Elle ne ment pas. Depuis combien de temps n'a-t-elle plus vu Hécate ? Au moins trois cents ans, sans doute. Peut-être davantage.
- Ça m'intéresse quand même, rétorque la naufragée.
Un léger sourire se dessine sur les lèvres de la magicienne. Elle aime cette Ophelia pleine d'assurance. Comment refuser de se confier, après ça ?
- Ma mère est Hécate, commence-t-elle. Je n'ai jamais été très proche d'elle. Elle était très sévère avec Scylla et moi, parce qu'elle ne supportait pas d'être à l'ombre des autres dieux. En particulier d'Artémis et de Séléné, parce qu'elles lui "volaient la vedette". Elle voulait arriver à travers nous à gagner leur reconnaissance. Et en quelque sorte, elle à réussi. Pas de la manière qu'elle voulait, cela dit. Mais s'il y a une chose que je lui dois, c'est mon intérêt pour ça.
Elle désigne la marmite encore fumante.
- Scylla ? relève Ophelia.
Circé voit soudain la bouche de son invitée d'arrondir, ses sourcils se lever tandis qu'elle réalise l'implicite.
- Mais alors... Tu es la sœur de Scylla ? Du monstre à six têtes qui dévore les marins lorsque les bateaux passent trop près de son rocher ?
- Eh oui, confesse Circé.
- Tu as transformé ta propre sœur ?
La magicienne soupire. Elle savait que cette question risquait d'arriver. Mais elle n'en veut pas à Ophelia de l'avoir posée. À vrai dire, elle réalise même que son invitée est probablement la seule personne à qui elle voudrait raconter cette histoire. Seulement, pas maintenant. Elle a encore besoin d'un peu de temps.
Si elle n'a plus vu sa mère depuis plusieurs centaines d'années, son dernier face à face avec sa sœur date de bien plus longtemps encore.
Et pourtant, y penser est encore bien plus douloureux que toutes ses mésaventures avec les marins échoués.
- Je t'en parlerai peut-être. Une autre fois, finit-elle par glisser d'une voix faible. Je ferais mieux d'aller me coucher. Ces histoires de loups m'ont fait faire du souci.
Elle s'avance vers la sortie de la cuisine.
- Je comprends, répond Ophelia avec bienveillance.
- Tu devrais aller te coucher, toi aussi. Tu as eu des émotions fortes, aujourd'hui.
- J'ai dormi tout l'après-midi. Je ne suis pas fatiguée.
Les deux femmes quittent alors la pièce après avoir soufflé les bougies, puis prennent la direction de leurs chambres respectives. Mais avant de disparaître dans le couloir, Ophelia lance :
- Circé ?
- Oui ?
- Je voulais juste savoir si tu vas bien. Tu as l'air soucieuse. Et pas seulement par rapport aux loups, je veux dire.
- Tout va bien, je t'assure, répond-elle.
Mais en montant l'échelle qui la mène à sa chambre, elle se demande comment Ophelia a pu la percer à jour si aisément.
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The Beast
RomanceSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...