Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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Comme prévu, les blessures ouvertes par les griffes d'Ophelia ne tardent pas à se résorber. Circé remarque que cela a l'air de soulager sa compagne.
Tout va pour le mieux. Personne n'a été gravement blessé.
Quelques soirs plus tard, alors que Circé se promène le long de la falaise, non loin de Pitys, elle entend Ophelia qui l'appelle.
Elle cesse de fredonner et se retourne vers sa compagne. Elle tient un panier dans les bras.
- On va manger sur la plage, avec les filles ! lance la mortelle. Tu viens ?
La magicienne hésite. Elle mange parfois avec les nymphes, mais jamais elle n'a essayé de partagerleur repas, ni le moment autour. Comment fait Ophelia pour supporter leurs caractères ?
Mais elle ne veut pas non plus refuser. Son amie serait sans doute déçue, et de toute façon, Circé ne veut pas passer le repas seule, sans elle alors qu'elle lui a proposé.
- J'arrive !
Même à cette distance, elle distingue le sourire d'Ophelia qui s'élargit.
Elle s'arrête un instant devant le pin, et son visage redevient grave. Elle a l'impression que Pitys est un exemple de comment son histoire aurait pu mal tourner. Circé a eu de la chance dans son malheur, elle le réalise depuis peu. Ophelia aussi, en quelque sorte. La nymphe, elle, n'a pas eu droit à la sérénité qu'elle méritait.
- Je te demande pardon, murmure-t-elle, le regard fixé sur la cime de l'arbre.
C'est plus facile de s'excuserauxmortsqu'auxvivants.
Mais elle essaiera de faire un effort, déjà pour cette soirée, puis pour les prochaines.
Lorsqu'elle gagne la plage, Mérope, Mélité et Chloris sont déjà assises sur le sable, tandis qu'Ophelia déballe tout le contenu de son panier. Lorsqu'elle aperçoit Circé, elle fait de grands signes et crie :
- Tu veux du vin ?
Elles passent une soirée mémorable. Grâce à sa compagne, la magicienne découvre d'autres facettes des nymphes qu'elle ne faisait que supporter. Elle réalise que toutes les trois ne sont pas que des enquiquineuses venues troubler le calme de son exil, mais elles aussi des parias, éloignées par les dieux. Oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, elles ont un certain nombre de points communs.
Malgré tout, c'est Ophelia qui accapare toute l'attention. Pendant un instant, l'image de la jeune femme lorsqu'elle a failli se noyer se superpose à la vue de Circé. Elle s'est métamorphosée, depuis son arrivée à Aea. De la femme silencieuse et mystérieuse, elle est devenue cette personne pleine de vie qui se lie avec aisance.
Circé est éblouie. Elle n'a d'yeux que pour sa compagne. Avec elle, il lui semble qu'elle peut tout supporter, même la présence des nymphes qui ne l'ont jamais portée dans leur coeurs.
Parfois, leurs doigts posés dans le sable se cherchent et s'enlacent. De temps en temps, de discrets regards s'échangent et elles peuvent presque se comprendre sans se parler. Tout est si facile, c'en est presque déconcertant.
Circé boit sans s'en rendre compte. Le temps passe à une vitesse phénoménale.
Et puis, Chloris va se coucher la première. Elle est rapidement suivie par ses compagnes.
Ophelia et Circé se retrouvent seules.
Tout de suite, elles se rapprochent, s'embrassent. Les lèvres d'Ophelia n'ont pas le goût de l'eau salée, pour une fois, mais celle d'un vin fruité, estival.
Elles sont ivres et pleines de sable, mais ne s'en rendent pas compte, trop occupées à rire et à s'embrasser.
Et puis, Ophelia propose d'aller se baigner. Étrangement, cela semble une excellente idée, et la magicienne la suite en sautillant. Elles font valser leurs robes, trempent les orteils dans l'eau fraîche.
Circé attrape la main d'Ophelia. Elles se mettent à courir, ne s'arrêtant qu'au moment où leurs pieds rencontrent les premiers rochers.
Ophelia attire Circé contre elle, la prend par le bas du dos et l'embrasse à nouveau. Elles ferment les yeux, laissant leurs lèvres explorer seules leurs sensations.
Mais soudain, Ophelia romp le baiser. Quand Circé rouvre les paupières, elle la voit tituber.
- Que se passe-t-il ? demande-t-elle, soudain inquiète.
- C'est rien, je-
Ophelia est coupée par un hoquet. Elle tient son ventre de ses mains et se plie alors en deux.
Et au moment où Circé comprend ce qui se passe, elle vomit.
