Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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Il règne sur l'île d'Aea une obscurité étrange pour une nuit de pleine lune. La forêt est remplie d'ombres, et cela lui donne un aspect nouveau, inconnu, alors même que Circé habite ici depuis plusieurs siècles.
Cette fois, lorsque le char d'Hélios a disparu à l'horizon, la magicienne n'a pas lâché Ophelia du regard. Elle avait pris soin d'avaler sa propre potion un peu avant, si bien que dès sa compagne devenue louve, Circé s'est élancée à sa poursuite.
Curieusement, Ophelia ne s'est pas précipitée vers l'enclos des cochons, mais à l'opposé de l'île, de l'autre côté de la forêt, vers l'endroit où elles ont coutume de regarder le coucher du soleil.
Circé se tient à distance raisonnable de la louve, parce qu'elle ne veut pas prendre le risque de réveiller ses instincts défensifs. Mais elle remarque tout de même que l'animal a l'air moins... bestial que lors des pleines lunes précédentes.
Est-ce l'effet de la potion ? Elle ne peut pas le savoir, elle n'est pas dans la tête d'Ophelia, mais quelque chose lui dit que la mortelle est en effet plus lucide que d'ordinaire. Quelque chose dans sa posture a changé.
Là voilà d'ailleurs qui s'allonge au bord de la falaise, les yeux rivés sur la mer et les reflets que la lune fait miroiter sur les vagues.
Ce caractère apaisé, Circé le trouve étrange. La malédiction d'Ophelia est censée la rendre violente, imprévisible, impitoyable. Pas la faire s'allonger comme n'importe quel chien pour admirer le paysage.
La lionne fait les cent pas à l'orée du bois. Les craquements des premières feuilles mortes n'inquiètent même pas Ophelia.
Circé n'arrive pas à croire à l'impressionnante efficacité de sa potion. Elle a fait des progrès, dans sa recherche pour vaincre la malédiction, et elle le sait. Mais elle ne peut s'enlever de la tête l'inquiétante idée que la louve n'est pas dans son état normal.
Qu'il est sur le point de se produire quelque chose de grave.
Mais les heures passent et Ophelia ne bouge presque pas.
Alors au bout d'un moment, pour soulager ses jambes qui commencent à fatiguer à force de rester debout et presque immobile, Circé s'assoit sur ses pattes arrières. Sa tête tombe, elle relâche son attention. Le sommeil n'est plus très loin, elle le sent.
Ses yeux se ferment à plusieurs reprises. À chaque fois, elle s'en rend compte juste à temps et se force à les rouvrir pour surveiller la louve. Qui sait ce qui pourrait arriver si elle cède au sommeil ?
Mais à un moment, la magicienne se réveille, les narines titillées par une odeur inconnue.
Elle réalise qu'elle ne sait pas depuis combien de temps elle a fermé les yeux. Mais un regard à Ophelia la rassure : la louve n'a pas quitté son poste.
C'est alors que Circé perçoit une légère mélodie, comme quelqu'un qui fredonne.
Les feuilles mortes craquent de nouveau.
Et une silhouette humaine apparaît entre les arbres. Circé la reconnaît immédiatement. C'est Chloris. Qu'est ce que la nymphe fait ici, en plein milieu de la nuit, pendant la pleine lune, qui plus est ?
La magicienne réalise alors qu'elle n'a jamais clairement expliqué aux nymphes la malédiction d'Ophelia. Sont-elles au moins conscientes du danger qu'elles encourent, une nuit par mois ?
Son sang se glace. Elle feule, dans l'espoir d'effrayer Chloris, mais la nymphe ne l'entend pas, et quitte maintenant le couvert des arbres.
Circé, ayant quitté Ophelia des yeux pour se tourner vers Chloris, réalise son erreur quand elle regarde de nouveau la bête.
Elle s'est relevée et s'est retournée vers la nymohe, qui semble inconsciente de sa présence.
Elle gronde. Chloris ne bronche pas.
Elle est somnambule, réalise alors Circé, catastrophée. Elle est somnambule ! Voilà qui expliquepourquoi elle passe tant de tempsdans sa chambre ! Car elle passe ses nuits à aller et venir surtoutel'île, ou à fairedescauchemars.
Pourquoi s'est-elle aventurée jusqu'ici, cettenuit-là, précisément, la magicienne ne le saura sans doute jamais. Mais il est désormais évident que l'odeur alléchante de la nymphe endormie a réveillé les instincts voraces d'Ophelia. La louve est dans une position tendue.
Prête à attaquer.
Son instinct animal reprend le dessus sur sa conscience humaine. Et elle fonce.