Au petit matin, Circé émerge de son sommeil. Quelques rayons de soleil timides traversent ses rideaux opaques pour illuminer sa chambre d'une lueur surréelle. Hélios est de retour.
Elle se lève et se vêt machinalement pour descendre de son antre. Comme à son habitude, elles est la première levée - les nymphes ont la fâcheuse habitude de se prélasser au lit toute la matinée, ce qui n'est pas pour déplaire à Circé. D'ordinaire, elle profite de ces quelques heures de répit pour aller prendre soin de son jardin et de ces animaux, mais ce jour là, Circé a une autre tâche qui l'attend.
Elle retrouve l'inconnue de la tempête toujours assoupie sur le divan. Elle n'a pas bougé d'un pouce pendant la nuit, mais son souffle semble plus franc, et plus régulier, aussi.
Circé s'approche et retire d'une main délicate le drap qui couvre le corps de la jeune femme. À la lumière du jour, elle y découvre alors que les bleus qu'elle avait aperçu la veille sont bien plus sévères que ce qu'elle n'avait imaginé. Elle ne sait pas ce que cette femme a traversé, et elle n'a aucune idée de l'effet de bleus sur sa propre peau - un privilège divin qu'elle s'estime chanceuse de posséder - mais elle est certaine qu'elle ne peut pas la laisser dans cet état.
Les pensées de Circé s'agitent. Elle fouille dans sa mémoire pour retrouver les ingrédients nécessaires à la préparation d'une pommade apaisante. Elle prend la direction de son jardin et se retrouve pieds nus dans la terre humide pour arroser ses plantes. Elle cueille trois feuilles de chou ici, deux fleurs de moly là, puis rentre dans sa cuisine.
Bien que les nymphes utilisent parfois la pièce, Circé s'y sent pourtant comme dans son royaume. Une odeur de fleurs écrasées flotte dans l'air pendant qu'elle broie ses ingrédients. Elle attrape d'un geste automatique un petit récipient, dans lequel elle mélange les fleurs et les feuilles à un peu d'huile prélevée dans un flacon. Son poignet dessine des cercles répétés dans un geste plein d'assurance.
L'exil sur l'île d'Aea lui a au moins donné ça : la possibilité de faire ses potions tranquille sans sentir l'œil de Zeus la surveiller. Même si elle se doute que les nymphes, dès leur départ, s'empressent de raconter à quelle sorcellerie la magicienne se livre, entourée de ses cochons et de ses fleurs de moly. Elles peuvent bien raconter ce qu'elles veulent. Les dieux ne sont jamais venus la punir pour ce qu'elle fait. Après tout, elle ne fait de mal à personne, excepté peut-être, quelques marins insignifiants pour les maîtres de l'Olympe.
Une fois le cataplasme realisé, elle retourne dans le salon et constate avec mauvaise humeur qu'une des nymphes est debout. Bien matinale, celle-là, songe Circé en la gratifiant d'un regard peu agréable.
- Qui est-elle ? s'enquit la nymphe sans se démonter en pointant la naufragée du doigt.
- Je l'ignore, réplique Circé d'une voix dure. Elle allait se noyer quand je l'ai trouvée. Maintenant, laisse-moi, je t'en prie.
Le visage de la jeune fille devient boudeur, mais elle ne conteste pas l'ordre de la maîtresse des lieux. Satisfaite, Circé se penche sur la blessée.
Elle applique alors le baume sur toutes les ecchymoses de l'inconnue avec deux doigts qui effectuent des mouvements circulaires sur les plaies. Une fois fini, elle rabat de nouveau le drap et laisse sa protégée tranquille.
La matinée s'écoule paisiblement. Circé nourrit sa lionne et les autres animaux, puis s'enfonce dans les bois pour s'éloigner de la présence des nymphes et chercher de nouveaux ingrédients. Elle cueille aussi quelques olives en passant près des oliviers. C'est à ce moment, alors que le soleil entame sa redescente vers l'horizon, qu'une des nymphes accourt en sa direction.
- Qu'y a t-il ?
- C'est la fille que tu as sauvée de la tempête ! Elle s'est réveillée !
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The Beast
RomantizmSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...