70 : ophelia

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Ophelia repense à l'instant où le corps de Pitys s'est transformé pour devenir ce grand arbre enraciné à quelques pas à peine du bord de la falaise

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Ophelia repense à l'instant où le corps de Pitys s'est transformé pour devenir ce grand arbre enraciné à quelques pas à peine du bord de la falaise. Les cris de la nymphe face à Pan retentissent dans son esprit aussi clairement que si elle venait de les entendre.

Ce que Circé vient de dire a du sens. Si mon mari était encore en vie et m'avait poursuivie à travers toute la Grèce après que j'aie été maudite, aurais-je pu envisager de boire une potion par désespoir ? Oui. Probablement, oui.

— Tu as raison, déclare-t-elle en se redressant pour regarder sa compagne. Je préférerais peut-être être un pin plutôt que de devoir subir un mariage dont je n'ai pas voulu.

— Voilà, conclut Circé.

Le silence s'installe. La discussion semble être close. La magicienne a sans aucun doute épuisé tous ses mots, et Ophelia non plus n'a pas d'autre question. Il va lui falloir une bonne nuit de sommeil, pour intégrer tous les événements de cette soirée mouvementée.

Elle s'éloigne à contrecoeur de sa compagne pour aller souffler sur la torche. La flamme orange disparaît, plongeant les deux femmes dans le noir presque complet. Il reste toujours la lumière de la lune pour les éclairer.

Elle retrouve sa place, et tout naturellement, l'étreinte de Circé l'attire à nouveau vers elle. Ophelia tourne la tête et la magicienne en profite pour lui voler un baiser. Ses lèvres ont un goût salé dû au reste de ses sanglots. Pourtant, elle paraît de nouveau sereine.

Elles ne rompent le contact qu'après un long instant, et il est clair qu'aucune d'elles n'en a envie. Alors Ophelia presse de nouveau ses lèvres sur celles de Circé, de manière plus appuyée, plus intense. Leurs mains viennent se trouver, mais ne restent pas liées très longtemps : celles de la magicienne vont vite caresser l'arrière du crâne et les cheveux de sa compagne. Ophelia place plutôt les siennes dans le dos de Circé.

Les deux premiers baisers sont suivis de bien d'autres, parfois plus effacés, parfois plus succints, mais toujours avec la même intensité.

C'est comme s'il y allait avoir un orage, songe Ophelia. L'air est aussi lourd et chaud qu'avant que le tonnerre éclate.

Et elle commence à y prendre goût.

Finalement, peut-être pas besoin de la nuit pour réfléchir. M'abandonner dans les bras de Circé suffit à me faire oublier tout ce qui me tracassait.

— Tu sais, glisse-t-elle dans un murmure, même si je trouve Thracé stupide de ne pas t'avoir choisie, je suis contente qu'elle ne l'ait pas fait. Sinon, on ne se serait sans doute jamais rencontrées.

Lorsque les mots franchissent ses lèvres, Ophelia a un mouvement de recul, et se couvre la bouche de sa main. Elle n'a pas réfléchi une seule seconde avant de parler. Sa compagne va-t-elle mal prendre ces mots ? Après tout, l'histoire avec Scylla et Thracé lui a coûté sa place auprès des dieux.

— Oh par Artémis, je suis désolée !

Mais la magicienne esquisse un petit rire, et Ophelia devine que sa bouche s'est fendue d'un sourire.

— Pas besoin de t'excuser. Je me suis fait la même réflexion tout à l'heure. J'en ai toujours voulu aux dieux de m'avoir punie, même si paradoxalement, je savais que je l'avais mérité. Mais je commence à me dire que pendant tous ces siècles, j'ai choisi de ne voir que le négatif de mon exil. Ma liaison avec Poséidon, qui a achevé de démolir ma confiance en moi en me faisant croire que je resterai seule toute ma vie, les marins et leur violence... Je réalise avec ta venue qu'il peut aussi m'arriver des bonnes choses.

Ces paroles plongent Ophelia dans ses pensées. Pourrait-elle appliquer les mots de Circé à sa malédiction ? Elle qui se croyait condamnée à fuir toute sa vie et à ne laisser que la mort sur son passage, doit avouer que c'est la première fois depuis bien longtemps qu'elle se sent autant en paix avec elle-même. La menace des prochaines pleine lune ne provoque plus de crises, plus de cauchemars, à peine quelques tremblements. Et cela, elle le doit à Circé.

— Oui, murmure-t-elle, autant pour elle-même que pour sa compagne. Oui, c'est pareil pour moi. Grâce à toi, je vis plus facilement malgré ma malédiction. Je suis vraiment contente d'avoir croisé ta route.

Elle se sent rougir, pas par honte, mais parce que c'est sans aucun doute la pensée la plus sincère qu'elle vient de verbaliser.

Sur ces mots, Circé l'embrasse.

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