Pendant un long moment - qui semble durer plusieurs minutes - Ophelia reste agenouillée à côté du corps de Circé. Elle ne se rend même pas compte que des larmes dévalent ses joues pour s'écraser sur l'herbe déjà trempée par la pluie.
Et puis, elle prend conscience que son amante ne va pas bouger. Elle doit faire quelque chose.
- Je ne te laisse pas longtemps, promis, je ne te laisse pas longtemps, sanglote-t-elle en fixant le visage miraculeusement intact de la magicienne.
Elle se relève avec difficulté, comme si son corps refusait de lui obéir, et elle repart à travers les bois, en courant, cette fois.
Quand elle arrive à la maison, elle découvre que Mélité a rejoint Mérope dans la salle à manger. Ophelia déboule comme une tornade, bouge dans tous les sens et se met a crier :
- Venez m'aider ! S'il vous plaît, venez m'aider ! C'est Circé, je... Je crois que Circé est morte !
Les nymphes échangent un regard beaucoup trop calme pour Ophelia.
- Comment ça, morte ? l'interroge Mélité de son ton apaisant.
Cette fois, sa voix n'a aucun effet sur la mortelle. Prise de court par cette question, elle reste un instant immobile. Puis elle reprend :
- Tu sais ce que ça veut dire, morte, non ? Elle... Elle est allongée à l'autre bout de l'île, sa poitrine est déchirée en deux par une énorme coupure, et elle saigne...
- Circé est immortelle, rétorque Mérope comme si l'information refusait de pénétrer dans son esprit.
- Non, elle ne l'est pas, crache Ophelia. S'il vous plaît, venez m'aider à la ramener, je n'ai pas le temps de vous expliquer maintenant !
De nouveau, les nymphes se consultent du regard. C'est Mélité qui s'avance la première, signalant qu'elle accepte de suivre Ophelia. Avec un soupir, Mérope finit par hocher la tête.
Les voilà reparties à travers l'île d'Aea. Ophelia court en tête, les deux autres sur ses talons. Les feuilles des arbres lui griffent le visage, la pluie s'insinue dans ses vêtements. Elle a la chair de poule, mais elle continue sa route sans ralentir.
Elles arrivent devant la scène. Évidemment, la magicienne n'a pas bougé d'un pouce. Lorsque Mélité et Mérope s'approchent, Ophelia constate d'abord l'incompréhension dans leurs yeux... Qui se change peu à peu en horreur.
La nymphe aux cheveux de miel s'agenouille et attrape délicatement le poignet de Circé. Après un instant où Ophelia ne comprend pas ce qui se passe, elle le lâche et se relève.
- Son coeur bat encore.
Il n'en faut pas plus pour réveiller l'inquiétude d'Ophelia.
- Raison de plus pour se dépêcher de la ramener !
Elles s'attèlent donc à la tâche. Ce n'est pas facile, car elles ne savent pas comment se répartir le poids de la magicienne, dont les vêtements trempés et les membres inertes la rendent lourde.
Ophelia, la plus costaude des trois, prend les devants. Les nymphes s'adaptent à son rythme, et elles repartent ainsi, bien plus lentement, vers la maison.
Elles déposent Circé sur le divan le plus proche du feu, et Mélité va aussitôt chercher des couvertures pour la réchauffer.
Mérope se tourne alors vers Ophelia.
- Mais quel dieu aurait pu être si cruel pour manquer de la tuer d'une façon si brutale ?
Ophelia songe à Pan et son obstination à obtenir la main de Pitys. Elle pense à tous les récits sanglants qui se répandent de village en village, chantés par les aèdes. À elle, ça ne lui semble pas si improbable.
Pourtant, elle ne peut pas mentir à Mérope. Elle doit assumer sa responsabilité.
- Je crois que ce n'est pas l'oeuvre d'un dieu, dit-elle avec difficulté. Je crois... que c'est moi qui lui ait fait ça.
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The Beast
RomansaSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...