Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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Comme elle s'y attend, le début de la soirée se passe bien. Les marins sont cordiaux, ne s'imposent pas à l'intérieur avant qu'elle ne les ait invités à entrer, et s'intéresse à ce qu'elle a à leur raconter.
Évidemment, elle reste vague. Elle n'a pas envie de trop dévoiler à ces inconnus. Alors elle se contente de remplir leurs verres d'un vin produit par Dionysos en personne.
Et au fur et à mesure que le temps passe, leurs langues se délient, ils haussent le ton et quelques rires graves fusent.
Comme elle a l'habitude de le faire, Argyros siège près d'elle. D'expérience, elle sait que les marins s'en remettront toujours à leur chef. Et puis, ne dit-on pas : gardeprès de toitesamis, et tesennemisencore plus près? À cette distance, Circé peut anticiper les mouvements du capitaine.
À quel moment de la soirée osera-t-il pressée son genou contre le sien, poser la main sur sa cuisse ?
Alors que la lune nouvelle est bien haut dans le ciels, certains hommes sont partis se coucher. Mais Argyros et ses équipiers les plus fidèles, semble-t-il, ne sont pas fatigués.
- Je suis enchanté de rencontrer la femme qui a été si importante dans l'épopée d'Ulysse, déclare le capitaine après un énième verre de vin que Circé a cessé de compter.
Elle se crispe. Après la visite d'Ulysse et l'année qui a suivi, elle n'a plus jamais vu d'autres navires accoster sur son île. Sans doute la nouvelle de ce qu'elle avait fait à tous ces hommes s'était-elle propagée et les générations suivantes n'ont plus voulu se risquer à la déranger.
Ah, Ophelia, pourquoi ne m'as-tu pas ditque tu voulais partir ?
- Je ne sais pas si j'ai eu tant d'importance pour lui, répond-elle après un long silence. Entre les dix années de guerre et le temps qu'il a mis pour rentrer chez lui, son séjour ici n'a été qu'une courte parenthèse.
- Une parenthèse des plus agréables, si l'on en croit la légende, rétorque Argyros.
Le sourire qu'il lui lance alors lui glace le sang.
C'estmaintenant, devine-t-elle.
- Je serai curieux de comprendre ce qui l'a tant séduit ici, pour y passer une année entière. Une année pendant laquelle Pénélope l'attendait sagement à Ithaque.
Imbécile, crois-tuvraimentqu'ilm'alaissé le choix ? Il est arrivé ici d'un pas assuré, encachantdans sa boursel'antidotedonné par ce traîtred'Hermès. Il n'avaitrien à craindre, protégécomme il l'était. Ce n'est pas moi qui l'ai séduit. Monpiège est retourné contre moi, et c'est lui qui m'aeue.
Plongée dans ses pensées, le contact de la main du capitaine sur son visage lui fait l'effet d'une pluie glacée. Dur retour à la réalité.
Argyros ne semble pas percevoir son malaise, puisqu'il prolonge sa caresse, et sa deuxième main s'approche dangereusement de la taille de la magicienne.
Elle fuit le contact, se lève d'un bond.
Mais il en fait de même, et attrape son poignet en l'obligeant à se rapprocher.
- Capitaine, je vous conseille de me lâcher.
Une lueur de défi brille dans les yeux de l'homme. Et autre chose. De l'envie ? Du désir ? Peu importe, c'est le moment d'agir.
Elle tente de se dérober, de s'éloigner, mais il la saisit par la taille et la colle presque à lui.
- Lâchez-moi.
Elle assène ces deux mots d'une voix ferme en refoulant l'angoisse qui commence à monter.
Tu as déjàvécuça, Circé. Et tu sais que tu as le dessus. Alorsn'attends plus.
Elle murmure la formule qui active le poison.
Mais Argyros lui rit au nez. Il recule d'un petit pas, et elle en profite pour souffler. L'haleine avinée du marin est presque insoutenable. Elle n'a jamais compris leur besoin de boire autant. Ils ont déjà tout, la force, la puissance, la confiance ; pourquoi faut-il qu'ils se sentent obligés de se soûler ?
Tu connais la réponse, et tu le sais. Il y a une chosequ'ilsn'osent pas prendre, tantqu'ilsarborentleurvisagerespectable. Mais dèsqu'ilssontdésinhibésalorsils la veulent. Ta dignité.
- Dame Circé, tu croyais peut-être que nous n'avions pas entendu parler des méthodes que tu as employé avec les compagnons d'Ulysse ? Tu imaginais que nous ne nous étions pas préparés à ta sorcellerie ? Ton poison n'aura aucun effet sur nous.
Le cœur de la magicienne bat à tout rompre. De nouveau, le capitaine l'attire contre lui et approche sa bouche de celle de Circé.
Elle se sent impuissante, et pourtant elle doit fuir.
- LÂCHEZ-MOI !
Le marin n'en fait rien.
Elle se débat.
Et puis soudain, elle entend des bruits qui proviennent de la cuisine.
Non. Non. NON.
Mais le rideau s'ouvre. Et le visage d'Ophelia apparaît.
Argyros se détourne de Circé pour détailler la nouvelle venue. Son ricanement la plonge dans le désespoir.
Oh, Ophelia, pourquoi ne fais-tu pas pour une fois ce quejet'aidemandé ?
- Alors comme ça, il n'y a qu'une poignée de nymphes sur cette île, hein ?