Les pas de Circé résonnent dans les couloirs du palais. Les torches sont éteintes, comme toujours. La demeure de sa mère n'a pas changé.
Un sifflotement l'interpelle et elle s'approche de l'angle du couloir pour en découvrir la provenance. Elle s'interromp soudain.
Face à elle, se trouve une fillette d'une douzaine d'années, qui se balade nonchalamment dans les corridors obscurs, sifflant une mélodie qui lui rappelle immédiatement son enfance.
Circé se sourit, car elle reconnaît bien cette gamine encore insouciante. Mais son double passe à côté d'elle sans lui retourner son sourire. Sans la voir.
Intriguée, la magicienne suit la jeune Circé jusqu'à des marchés, qui descendent dans une aile du palais qu'elle s'est mise à détester.
L'antre d'Hécate.
Le laboratoire de sa mère est fidèle à ses souvenirs - en même temps, n'est-elle pas en plein dans ses souvenirs ? Les torches, allumées, cette fois, projettent aux murs et sur le sol des ombres inquiétantes. Un feu crépite dans l'âtre imposante. Des bruits de liquidés émergent des chaudrons posés sur les plan de travail enduits de bleu, au milieu de la pièce. Des fioles de cristal reposent sur des dizaines d'étagères, garnissant tous les murs de la pièce.
- Entre, ma fille.
La voix d'Hécate résonne sur les parois. La grande Circé remarque que les épaules de son double enfantin se recroquevillent très légèrement.
Sa peur d'Hécate est déjà là. À vrai dire, elle n'arrive pas à se rappeler à partir de quand elle a commencé à avoir peur de sa mère, ce qui est un signe que ça a commencé très tôt.
La petite Circé descend les marches. Son ombre ondule sur le sol à la lumière des flammes. Sa mère ne se retourne même pas pour l'accueillir d'un sourire rassurant. La déesse à trois visages n'a jamais su se montrer rassurante, en vérité.
- Qu'est ce que c'est que ça ?
La question émane de la bouche innocente de la petite Circé, tandis que ses doigts désignent une forme vague sur le plan de travail.
- Un lapin mort, répond Hécate, comme si ça allait de soi.
La petite Circé frissonne. La grande aussi, en se remémorant ce moment de sa vie.
C'est âgée de douze ou treize ans seulement que sa mère l'a pour la première fois invitée dans son atelier de sorcellerie. La première fois où elle a mis les pieds dans ce sous-sol sombre et glauque.
Bizarrement, elle se souvient surtout des mauvaises odeurs. L'odeur du fer, provenant du sang, qu'elle a toujours détesté, mais aussi bien d'autres fumets dégagés par les potions de sa mère.
- Lave-toi les mains, ordonne Hécate à sa fille. Aujourd'hui, je vais t'apprendre à réaliser la potion que m'a commandée la reine Héra. Un pas de côté, et nous serons châtiées, alors je compte sur toi pour être irréprochable.
La voix de la déesse est glaciale. La grande Circé grimace. Elle voudrait dire à son double du passé de fuir tant qu'elle en a encore la possibilité. Et en même temps, elle ne peut s'y résoudre. Même si la sorcellerie a d'abord été pour elle une malédiction, c'est grâce à son travail acharné et aux connaissances héritées de sa mère qu'elle a pu devenir ce qu'elle est.
Elle se tourne alors vers Hécate. La tentation de profiter de son invisibilité pour crier à sa génitrice ses quatre vérités est grande.
Mais Hécate ne lui en laisse pas le temps. Elle tend un couteau à sa fille, lui désigne le lapin, et assène :
- Et maintenant, au travail.
Sous les ordres de sa mère, la petite Circé se met alors à dépecer l'animal, les doigts crispés. Pour se détendre, elle se met de nouveau à fredonner.
Jusqu'à ce qu'Hécate attrape son poignet, empêchant le couteau de se ficher dans la chair rouge du lapin.
- Et arrête un peu de chanter, c'est insupportable.
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The Beast
RomansaSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...