Sur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même.
Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...
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La légèreté qui s'est installée progressivement entre les deux femmes s'intensifie dans les jours qui suivent les aveux de Circé. Désormais, elles n'ont plus de secret l'une pour l'autre. Elles peuvent laisser derrière le passé pour se concentrer sur le présent.
Et cela leur fait un bien fou.
D'autant qu'avec l'approche de la pleine lune, Ophelia ne dit pas non à un peu plus de sérénité, et de temps pour Circé à préparer ses potions.
Quelques jours avant, la magicienne sort de la cuisine avec une fiole remplie d'un liquide peu ragoûtant. Elle la tend à Ophelia, qui l'examine avec une moue écoeurée.
- Et voilà ! Il faut que tu en boives la moitié maintenant, et l'autre moitié le matin avant la pleine lune.
Elle a l'air si satisfaite qu'Ophelia n'ose pas lui faire remarquer que sa mixture ressemble a du vomi. Elle penche le petit récipient au dessus de sa bouche, et du bout des lèvres, elle avale la dose nécessaire en une seule gorgée.
Elle ne peut s'empêcher de tousser.
- J'espère que ça va marcher, articule-t-elle en essayant de chasser le goût amer de sa langue.
- Dans tous les cas, je serai avec toi. J'ai encore la potion de l'autre fois qui me change en lionne. Et j'essaierai de ne pas te blesser en défendant l'enclos.
Ophelia esquisse un mince sourire. Au fond d'elle, même si l'appréhension est encore là, elle est rassurée de savoir que Circé ne la laissera pas tomber.
Le matin fatidique, elle avale le reste de la mixture et se prépare mentalement à perdre encore le contrôle d'elle-même.
Pourtant, à la tombée de la nuit, lorsque sa peau se transforme en pelage gris, un étrange phénomène se produit.
À la place de l'éternel trou noir que provoquent ses transformations, elle se retrouve à quatre pattes - et elle s'en rend compte. Tout comme elle réalise qu'elle part en courant jusqu'à la forêt.
C'est extraordinaire. Circé n'a peut-être pas trouvé la solution pour la débarrasser de sa malédiction, mais elle lui a permis quelque chose d'inédit : garder conscience pendant les nuits de pleine lune, se souvenir de ce qu'elle fait.
Pendant les premières heures de la nuit, émerveillée par les sensations qu'elle découvre - l'odeur de la nature, des arbres et des plantes, les bruits décuplée, la sensation de la terre sous ses pattes - elle se contente de parcourir l'île sous tous ses angles pour la redécouvrir.
Mais alors que le ciel commence à s'éclaircir, Ophelia se rend compte qu'elle est affamée. Son ventre produit d'affreux grognements, comme si un monstre était en train de grandir dans son estomac.
Et puis elle distingue une odeur qu'elle avait jusque là laissée de côté. Un fumet comme elle n'a jamais senti. Presque envoûtée, elle se met à marcher à pas de velours pour remonter jusqu'à la source de ce parfum délicieux.
Elle sort de la forêt, voit réapparaître les murs blancs de la maison de Circé. Mais l'odeur ne provient pas de la maison.
Alors elle contourne le bâtiment.
Et là, elle les voit. Un troupeau tout entier de porcs, gras à souhaits. Lorsqu'ils aperçoivent la louve, ils se réfugient dans le coin le plus éloigné de l'enclos.
Ophelia pourrait sauter, sans hésiter. Elle n'a encore jamais franchi une telle hauteur en étant consciente dans son corps de bête. Pourtant, elle sent au fond d'elle qu'elle possède largement la force nécessaire. Ses jambes ne flanchent pas. Elle est solide sur ses appuis. Elle peut même reculer pour prendre son élan, avant de foncer vers son repas.
Mais entre elle et les cochons, se dresse un obstacle. Une lionne, aussi svelte qu'Ophelia est musclée. Une lionne qui la regarde avec des yeux brillants, presque humains, et qui semble la supplier de ne pas sauter.