Elles se rembrunissent en même temps. Les sourcils froncés, Circé se demande qu'est-ce les dieux lui reprochent, cette fois. Pourquoi envoyer des loups sur son île pour égorger un des cochons ?
Et surtout, comment n'a-t-elle pas remarqué ces loups ? Ni elle ni sa lionne n'ont constaté d'une activité suspecte sur Aea... Et pourtant, un des pourceaux vient d'en faire les frais.
Elle chasse ses pensées et prête de nouveau attention à Ophelia, qui semble s'être recroquevillée sur elle-même.
- Tu les a entendus cette fameuse nuit, pas vrai ? demande-t-elle prudemment.
Ophelia ne lui demande pas de quelle nuit elle parle. Elle n'en a pas besoin, elle le sait déjà.
- Oui, confirme-t-elle d'une petite voix.
La magicienne réfléchit. S'il y a bien des loups sur son petit bout de terre, pourquoi ne s'être manifestés que deux fois à plusieurs jours d'intervalle ?
- Mais je les ai peut-être imaginés, reprend soudain son invitée.
Elle semble reprendre du poil de la bête. Étonnée, Circé lui demande de s'expliquer.
- J'ai peur des loups. J'en fais régulièrement des cauchemars. Alors, comment savoir si ces hurlements ont vraiment existé ou ne sont que le fruit de mon imagination ?
- J'aurais penché pour la deuxième hypothèse... Si le cochon mort ne constituait pas une seconde preuve de ce que tu pensais, rétorque Circé.
De nouveau, Ophelia a l'air terrifiée. Dans une tentative pour la rassurer, la magicienne amorce un mouvement pour attraper sa main, mais elle se dérobe, comme si le contact l'avait brûlée.
- Je crois que je vais aller me coucher, murmure Ophelia. Je- je ne me sens pas très bien.
- Tu ne devrais pas rester seule.
- Ne t'inquiète pas. Je ne suis pas si faible que j'en ai l'air.
Circé secoue la tête. Ce n'est pas ce qu'elle a voulu dire. Elle le sait, que la naufragée est bien plus courageuse qu'elle ne le laisse apercevoir. Tout le monde a peur de quelque chose, et ce n'est pas parce qu'elle est terrifiée par les loups qu'elle n'est pas quelqu'un de fort.
Elle voudrait dire quelque chose, trouver un mot pour apaiser son invitée, mais elle se trouve muette. Que dit-on, dans cette situation ? Elle n'en sait rien. Les dieux n'ont pas vraiment l'habitude d'exprimer de la solicitude.
La bouche ouverte mais la langue vide de mots, elle laisse Ophelia s'éloigner, avant de pénétrer dans l'enceinte rassurante de la maison. Circé est de nouveau seule.
Et ses craintes reviennent. Comment ce cochon a-t-il été éventré ? Par quoi ? Y'a-t-il vraiment une meute de loups a Aea, ou Ophelia a-t-elle tout imaginé ? Et si les dieux y sont pour quelque chose, que cherchent-ils à lui faire comprendre par là ?
Elle ne s'est jamais posé cette question. L'exil sur l'île d'Aea, elle l'avait mérité. Tous ces bateaux et ces marins arrivés sur ses côtes, ne sont venus que pour satisfaire la vengeance de Poséidon, lorsqu'elle l'a éconduit après qu'il ait été son amant.
Mais cette fois, la magicienne ne comprend pas. Et un sentiment grandissant lui presse les poumons comme si elle se trouvait en danger imminent.
Alors, pour chasser les angoisses qui montent, elle rentre à son tour, et passe le reste de la journée dans sa cuisine.
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The Beast
Roman d'amourSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...