The Beast

84 : circé

Tout compte fait, Circé s'est bien amusée, à la fête. Elle s'amuse rarement, alors il faut se souvenir de ces rares moments.

Elle a même remercié Aphrodite, à la fin de la soirée, quand les nymphes sont parties se coucher et qu'il n'est resté qu'une Ophelia endormie sur ses genoux et une Aphrodite toujours sobre malgré la quantité inquiétante d'alcool qu'elle avait avalé.

Lorsque Circé lui a fait la remarque, elle s'est contentée d'arrêter de sourire et de maugréer :

- Tout le monde a des problèmes, dans la vie.

La magicienne n'a pas cherché à en savoir plus. Elle s'est contentée de faire plaisir à la déesse en lui disant qu'elle avait apprécié la soirée. Et puis, cette dernière a quitté l'île d'Aea pour retourner sur l'Olympe.

Circé n'a pas une seule fois envié sa position.

Ophelia s'est réveillée quelques minutes après. Elles sont retournées se coucher dans leur lit, discutant à voix basse et prolongeant le plaisir de quelques baisers.

Quelques jours ont passé depuis, mais le souvenir est encore palpable dans l'esprit de la magicienne. Elle sent qu'un changement s'est produit à cette soirée.

Elle ne saurait comment le définir. Ce n'est pas lié au fait qu'Aphrodite les a en quelque sorte mariées. Au fond, elle sait que ce n'est pas un vrai mariage, et de toute façon, elle ne le voudrait pas. Pas besoin de ça pour savoir que ce qui la relie à Ophelia est vrai, profond.

Non, elle n'arrive pas à mettre le doigt sur ce qui a changé. Est-elle... plus apaisée ?

Elle est encore une fois dans sa cuisine, devant un fourneau brûlant et une marmite prête à être mise sur le feu. C'est bientôt la pleine lune, et bien que la potion qu'elle va donner à Ophelia soit prête, elle veut tenter autre chose.

Elle pense à des mots prononcés par Aphrodite. Des mots anodins, à premier abord, mais qui ont résonné pour elle.

Vous ne voulez pas profiter de votre bonheur ? Et vous unir en attendant que la mort ne vous sépare ?

Ça ressemble à des paroles vides de sens, du genre qu'on prononce à n'importe quel mariage. Mais la discussion que Circé a eu quelques jours avant avec la déesse la fait douter.

Aphrodite sait que leur histoire est vouée à l'échec. Et si... Elle avait voulu lui faire passer un message ? Un conseil ?

Circé le sait, elle ne peut rendre Ophelia immortelle. Elle-même ne possède ce privilège qu'à moitié, à cause du sang mortel de son père.

Alors empêcher Ophelia de mourir, ce n'est même pas envisageable. Il faudrait qu'un dieu la récompense en personne, en ayant auparavant demandé l'accord de Zeus pour cela.

Et Zeus ne satisfera jamais les demandes de Circé, l'affreuse sorcière jalouse en exil. La sorcière qui a transformé sa propre sœur en monstre marin, qui a changé des hommes en pourceaux avant de les découper en morceaux pour les mettre dans son assiette.

Mais il reste une possibilité.

Circé pose la marmite sur le feu, d'un geste sec. Elle tourne le liquide patiemment, jusqu'à ce qu'il commence à devenir pâteux.

Pas repoussée par l'aspect visqueux et odorant de la mixture, elle souffle sur les flammes. À l'aide d'une cuillère en bois, elle prélève une partie du contenu du chaudron pour le transvaser dans un bocal.

Elle se dirige vers la salle de bains, où elle remplit la baignoire. Elle laisse tomber sa robe par terre et se retrouve nue dans la pièce.

Elle prend de la mixture sur ses doigts, la badigeonne partout sur sa peau, en commençant par ses pieds et en remontant jusqu'à sa tête. Chaque centimètre de son corps est recouvert de cette boue d'une couleur entre le marron et le violet.

Puis, un pied après l'autre, elle se glisse dans le bain. Elle ferme les yeux, et immerge sa tête.

C'est parti.

Puisqu'Ophelia ne peut pas vivre avec elle pour toujours, c'est elle qui décide d'abandonner son immortalité.