Ophelia met un moment à réaliser que cette fureur noire émane de Circé. Mais lorsqu'elle aperçoit les yeux de cette dernière, devenus rouges, elle ne peut s'empêcher d'esquisser un mouvement de recul.
D'un geste brusque du bras, la magicienne envoie valser son agresseur à terre. Ophelia découvre alors que ses mains aussi se sont transformées, pour devenir des griffes acérées.
Les griffes se plantent dans les yeux du capitaine.
- Vous. Ne. Ferez. Plus. Jamais. De. Mal. À. Personne.
La voix de Circé est gutturale, méconnaissable. En vérité, la femme n'a plus rien en commun avec celle qu'Ophelia a appris à connaître. Plus d'yeux sombres, plus de voix mélodieuse et de mains douces. Pour la première fois, elle a devant elle la digne fille d'Hécate.
Et elle est dans un état terrifiant.
Lorsqu'elle retire les doigts des yeux de son assaillant, une sorte de fumerolle blanchâtre en sort. Et l'homme s'effondre définitivement, le corps sans vie.
Les autres se sont écrasés contre les murs, le plus loin possible de la magicienne. Tous ceux qui tenaient Ophelia l'ont laissée tomber à genoux, muette devant le spectacle qui se déroule.
Mais Circé a vite fait de les rattraper. Elle lacère le visage de l'un d'entre eux, le ventre d'un autre. Un à un, les marins s'écroulent et de nouvelles vapeurs blanches se mêlent à la fumée noire qui émane de la maîtresse des lieux.
L'odeur de la mort parvient aux narines d'Ophelia, qui se couvre la bouche, dégoûtée. Elle a subitement envie de vomir, mais pourtant, elle ose crier :
- Ci- Circé ! Arrête !
Sa compagne ne l'entend pas, ou du moins ne lui prête pas attention. Tous les marins sont à terre, et pourtant, elle se rue vers l'extérieur, suivie de son nuage noir.
De nouveaux cris parviennent aux oreilles d'Ophelia.
En proie à des sentiments contradictoires, tiraillée entre l'envie de se recroqueviller dans un coin les yeux fermés et le désir de stopper la folie vengeresse de Circé, elle peine à se relever.
Elle parvient finalement à se hisser sur ses jambes tremblantes, et fait quelques pas. Elle se trouve à quelques centimètres du capitaine. Du sang coule de ses orbites vides, et l'envie de vomir revient au galop.
Au moment où elle détourne les yeux, elle aperçoit les deux nymphes dans l'embrasure de la porte qui mène aux chambres. Elles aussi, sont horrifiées par le spectacle.
- Que se passe-t-il ? s'écrie l'une d'elle, blanche comme un linge. On dormait, et soudain-
Ophelia peine à trouver les mots.
- C'est- c'est Circé, elle a- tout est de ma faute, je n'aurais jamais dû- par Artémis, il faut l'arrêter !
Et enfin, elle se précipite dans la direction où s'est enfuie la magicienne.
Elle la trouve rapidement, en suivant les cris. Sur le chemin entre le rivage et la maison, un camp provisoire de marins s'était installé, et certains s'étaient couchés plus tôt que ceux qui gisent dans la salle à manger.
Mais ces couche-tôt n'ont pas échappé à la colère de Circé. Au milieu de tous les corps déchirés, elle tient le dernier entre ses ongles tranchants.
- Circé, ne fais pas ça ! hurle Ophelia de toutes ses forces.
Elle court jusqu'à elle, enjambe les cadavres, traverse le nuage noir et les fumées blanches pour attraper la magicienne.
Elle l'entoure de ses bras, mais il lui semble n'avoir aucune prise sur cette Circé métamorphosée.
Et soudain, un affreux craquement se fait entendre. Circé laisse tomber le dernier homme, qui s'écrase dans un bruit d'os brisés et dans une position désarticulée.
Ophelia contourne sa compagne pour lui faire face, et elle lui prend les poignets. Pendant un instant, elle croit qu'elle va l'envoyer balader, mais elle ne bronche pas. Des larmes dans les yeux, Ophelia murmure :
- Par tous les dieux, qu'est-ce que tu as fait ?
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The Beast
RomansaSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...