Interloquée par ce qui vient de se passer, Circé ne se précipite pas à la poursuite d'Ophelia.
Ses mains sont retombées sur ses cuisses dès que son invitée les a lâchées. Elle reste immobile dans le salon, clignant des yeux en se demandant ce qui vient d'arriver.
Le baiser a été vif, et il a visiblement laissé un goût amer sur les lèvres d'Ophelia. Mais ce n'est pas ce qui est resté sur celles de Circé.
Malgré la rapidité du moment, elle ne peut pas nier la puissance des émotions qu'elle a ressenti en une fraction de seconde. De la chaleur. De la douceur. De l'envie. Elle aurait voulu aller plus loin, presser plus longuement sa bouche contre celle de sa compagne.
Depuis combien de temps n'a-t-elle pas été embrassée ?
Soudain, le visage d'Ulysse lui revient en mémoire. Il y a des jours qu'elle n'a pas pensé à lui, elle ne s'en rend compte que maintenant. Elle réalise qu'il ne lui manque plus.
Est-ce parce qu'une nouvelle personne a fait irruption sur son île et dans sa vie ? Sans doute. Mais elle se prend à espérer que si Ophelia et elle s'étaient rencontrées dans un contexte différent, elles auraient aussi créé ce lien qui les unit.
Elle se fiche pas mal d'Ulysse, désormais. Ce n'est pas Ulysse qui l'a embrassée et a rempli son corps de toutes ces sensations qu'elle n'avait que trop rarement éprouvées. Et ce n'est certainement pas Ulysse qui aurait fui après un acte comme celui-là.
Étrangement, cette pensée la rassure. Ophelia n'a rien en commun avec le héros. Elle est une personne entière, unique. Et à ce moment, Circé prend conscience de tout ce qu'elle n'aurait pas imaginé éprouver de nouveau.
C'est seulement à cet instant qu'elle se lance à la poursuite de son invitée. Mais sans surprise, elle trouve la porte de sa chambre close.
Avec une hésitation, elle frappe quelques coups feutrés.
- Ophelia ? s'enquiert-elle d'une voix qui ressemble à un souffle de vent.
Sans doute la conséquence de son coeur qui tambourine encore dans sa poitrine.
La jeune femme ne lui répond pas.
- Ophelia ? Je- je ne t'en veux pas, si c'est ce que tu crois.
- Vas-t'en. J'ai besoin d'être seule, lui répond une voix brisée et étouffée par la porte fermée.
Circé soupire, mais accepte. Ses pas au ralenti la ramènent au salon, où elle se trouve soudain bien seule, loin du moment suspendu de leur danse.
Elle commence à éprouver la frustration de ne pas savoir ce que pense Ophelia. De ne pas savoir pourquoi elle a fait ça et surtout, pourquoi elle s'est enfuie avec précipitation. Si elle l'a embrassée, ce n'était certainement pas par erreur !
Si ?
Circé s'effondre sur le divan. Plus les minutes passent, plus elle est en proie au doute. Et les pensées insondables, le visage invisible d'Ophelia ne l'aident pas à analyser ce qui vient de se passer.
Elle passe peut-être une heure, la tête cachée entre ses mains, jusqu'à ce qu'un grognement la sorte de ses pensées.
Elle lève les yeux. Sa lionne s'approche d'elle de son pas gracieux, avant de lui caresser la jambe.
- D'accord, répond-elle à l'animal. Tu as raison, ça me fera du bien de prendre l'air.
Elle emboîte le pas à la lionne et quitte finalement la maison en laissant derrière elle ses questions et ses tourments.
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The Beast
Roman d'amourSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...