Si le départ d'Ophelia a été plutôt tranquille, du fait de la météo et de la mer calme, sa chance n'a pas duré longtemps.
Quelques heures d'effort plus tard, la jeune femme se retrouve en haute mer, là où les eaux sont bien plus mouvementées que près de la côte.
En regardant derrière elle, elle peut apercevoir les falaises d'Aea au loin. L'île est si petite, vue d'ici ! L'observer ainsi de l'extérieur suscite une sensation inhabituelle chez Ophelia. Une sorte de mélange de nostalgie et d'impression d'invincibilité.
Elle a survécu à un naufrage dans ces eaux, elle a rencontré Circé et a vécu des temps si intenses sur l'île qu'elle a l'impression qu'il s'agit maintenant de sa maison. Elle la quitte désormais, mais un pressentiment lui souffle que ce n'est pas la dernière fois qu'elle voit ce paysage.
Ses muscles ont un peu de difficultés à reprendre leurs anciennes habitudes. Quand Ophelia se faisait passer pour un marin, elle avait pris l'habitude de solliciter son corps pour des travaux physiques. Mais après plus de sept lunes d'inactivité physique intense, elle peine à trouver son rythme de croisière pour ramer.
Lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel, elle fait une pause pour manger.
Elle a emporté beaucoup de provisions, incertaine du temps qu'il lui faudrait pour atteindre la terre, en face d'Aea. Dans les prochaines heures, les prochains jours, elle devra renoncer aux délicieux fruits et légumes du jardin de Circé pour se contenter d'aliments secs, non périssables. Elle est peu enthousiaste à l'idée de se nourrir exclusivement de pain et de céréales, mais elle se dit qu'au moins, elle pourra naviguer le ventre bien rempli.
Et puis, la journée passe et le soleil commence à décliner. Ophelia a repris ses rames, réfléchi à la direction qu'elle doit prendre, et a recommencé à avancer. Peu à peu, ses bras reprennent l'habitude, retrouvent les mouvements qu'elle a effectué bien souvent - sur un bateau bien plus grand, certes, mais peu importe.
En revanche les vagues et le vent rendent ses efforts plus difficiles et plus physiques.
Mais lorsqu'Ophelia a des hésitations, une perte de motivation, elle pense à Circé, toujours évanouie, seule dans sa demeure, et elle se rappelle pourquoi elle entreprend ce périple.
L'idée de la femme qu'elle aime l'aide à tenir le coup.
Au coucher du soleil, Aea a disparu. Ophelia est littéralement perdue au milieu de la mer, et peu importe dans quel sens elle se tourne, elle ne voit que la même chose : la ligne d'horizon délimitant le ciel de l'étendue d'eau salée.
Les lumières qui s'étalent dans le ciel au moment où Hélios plonge sous l'horizon sont à couper le souffle. Ce dégradé de violets, roses, oranges et jaunes est probablement la plus belle chose qu'elle ait vu de sa vie. À Aea, elle n'en a jamais vu de pareil.
Ou peut-être est-ce l'effet de se retrouver hors du temps, perdue au milieu de l'eau, et de n'avoir qu'une seule chose à contempler.
Une fois la nuit tombée, Ophelia hésite. Elle peut continuer sa route, guidée par la position des étoiles. Mais elle est fatiguée, et elle meurt d'envie de se reposer.
Le problème, c'est que dans la petite embarcation quu lui sert de bateau, elle est seule. Personne, donc, pour la remplacer à la rame pendant qu'elle s'abandonne au sommeil. Personne pour monter la garde pendant qu'elle a les yeux fermés.
Elle pèse le pour et le contre. Comment ferait-elle si, alors qu'elle est assoupie, le vent se lève et la mer s'agite, faisant chavirer sa barque ?
Et puis, elle souffle. Bah, la mer est tout de même plutôt calme, et le vent n'est pas suffisant pour la renverser. Elle peut bien s'autoriser quelques maigres heures de sommeil, puis elle recommencera un peu à ramer pendant la nuit, et se rendormira à l'aube.
De toute façon, je savais que je mettrais plus d'une journée pour atteindre la côte, se raisonne-t-elle. Je savais pertinemment que je ne pouvais pas faire le trajet d'une traite sans dormir.
C'est décidé. Elle s'allonge au fond de l'embarcation, toujours emmitoufflée dans les vêtements qu'elle a emporté pour se tenir chaud.
Et sans même s'en rendre compte, elle tombe dans un sommeil où Circé est en vie, et où elles s'embrassent devant un coucher de soleil.
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The Beast
Storie d'amoreSur l'île d'Aea, le silence règne. Dans son palais, la magicienne Circé veille. Ses bêtes sont assoupies, elle est seule avec elle-même. Depuis le départ d'Ulysse, aucun voyageur n'a rompu le calme de son repaire. Après une éternité de malheurs, el...