69 : circé

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C'est au tour de Circé de baisser les yeux

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C'est au tour de Circé de baisser les yeux. Si elle ne s'était pas laissée aveugler par sa jalousie, sa soeur ne serait pas devenue un monstre, Thracé ne serait pas partie, et elle n'aurait pas été contrainte à l'exil et catégorisée comme la sorcière cruelle et jalouse que les dieux croient voir en elle. Mais il est trop tard, et de toute façon, même lorsqu'elle a essayé de réparer son erreur, elle a échoué.

— Le sort n'a pas eu l'effet que je recherchais, reprend-elle. Au lieu de détourner les sentiments de Scylla vers une autre personne, je n'ai réussi qu'à... les supprimer.

Ophelia fronce les sourcils. En réponse, la magicienne hausse les épaules.

— Je ne sais toujours pas aujourd'hui comment j'ai pu produire une telle chose. Mais le fait est que ma soeur ne s'est pas seulement éloignée de Thracé. Elle a commencé à être distante avec tout le monde, y compris avec son mari. Elle est devenue froide, méchante, à croire qu'elle n'avait plus aucune empathie. Et ça n'a fait qu'empirer avec le temps. Alors Thracé a vite compris que Scylla avait été victime d'un sort.

Circé souffle. Les phrases de sa dispute avec Thracé claquent soudain dans sa tête. Elle ne s'attendait pas à une douleur si vive, si bien qu'elle se recroqueville contre le mur, les jambes hors de la couverture. Elle a chaud, elle a froid, mais surtout, elle a les mots de Thracé qui rebondissent dans son crâne à lui donner la migraine. Elle ferme les yeux pour oublier qu'elle commence à avoir la nausée.

Un long silence s'installe dans la pièce. Un silence pesant qui n'arrange rien à l'état de la magicienne.

Et puis elle sent Ophelia qui se rapproche encore et qui entoure ses épaules de son bras. Tout doucement, la jeune femme attire Circé contre elle. Elle la serre un peu plus fort. La tête de Circé se pose sur l'épaule d'Ophelia. Elle sent des doigts qui montent jusqu'à l'arrière de son crâne et commencent à la caresser avec précaution.

L'effet est immédiat. Elle se détend.

— Je vais me répéter, mais si tu veux t'arrêter là, je ne t'en voudrai pas, murmure Ophelia à son oreille.

La magicienne lui signifie que non. S'arrêter pour reprendre plus tard, c'est faire durer le calvaire et laisser les attaques de Thracé tourner dans sa tête sans interruption. Comme elle l'a dit, elle veut s'en débarrasser.

— On... on s'est disputées, quand elle a compris que j'étais responsable de l'état de Scylla. Je sais qu'elle a tenté d'inverser le sort, mais comme ce n'était pas elle qui l'avait lancé, elle n'a pas réussi. Et pendant ce temps, Glaucos n'était pas du tout content de la tournure que prenait sa relation avec Scylla. Il est allé voir Zeus en lui racontant que je lui avais proposé mon aide pour la rendre amoureuse. Sauf qu'il s'est mépris sur les raisons de cet échec. Alors il a raconté que j'étais sûrement amoureuse de lui, et que par jalousie pour Scylla, j'avais trouvé le moyen de détruire leur mariage. Je n'ai pas osé le contredire. De toute façon, que ce soit par amour pour Thracé ou pour lui, le résultat était le même. Zeus m'a convoquée, m'a d'abord demandé d'annuler le sort. J'en ai été incapable. J'ignore si c'est parce que je n'avais pas bien compris son fonctionnement au moment où je l'avais lancé, ou si j'étais encore trop aveuglée par ma rancoeur. Je n'ai fait qu'aggraver les choses. Et Scylla est devenue un monstre.

Circé prend un instant pour respirer, et pour chasser l'image qui la hante toujours, celle de sa soeur, ses six cous et ses six têtes, son apparence monstrueuse.

Ophelia ne semble pas réagir, mais Circé ne s'en étonne pas. Après tout, elle connaissait la fin de l'histoire.

— Alors Zeus a appelé Hécate, qui a aussi essayé, sans succès. Finalement, il a décrété que je ne maîtrisais pas ma sorcellerie et que j'étais dangereuse pour l'Olympe. Et voilà comment je suis arrivée à Aea tandis que Scylla était postée à un détroit stratégique pour pouvoir nourrir ses six bouches de la chair de tous les marins qui croisaient son chemin. Quant à Thracé, elle est partie et je ne l'ai plus jamais revue.

Elle réouvre les yeux. Ophelia se tourne vers elle en soufflant.

— Et bien... quelle histoire. Je comprends mieux pourquoi tu es méfiante envers les nymphes.

— C'est vrai, il y a peut-être un peu de ça. Ce que je voulais t'expliquer, en te racontant tout ça, c'était aussi que la sorcellerie dépend d'énormément de facteurs. Tout à l'heure, c'est ce que j'ai voulu dire à Pan. Nous sommes trois à avoir essayé d'inverser le sort que j'ai lancé à Scylla. J'étais celle qui l'avait élaboré, et ma mère est à ce jour la sorcière la plus forte que je connaisse. Pourtant, aucune de nous n'a réussi. Alors, je peux savoir quelle potion Pitys a utilisé, certes, mais je n'ai aucune garantie de pouvoir annuler la métamorphose.

Circé soupire.

— De toute façon, même si j'étais certaine d'y arriver, je ne le ferais pas.

— Pourquoi ?

— Tu sais, lorsque Mérope t'a dit qu'en temps que femmes, on n'y pouvait rien ?

Ophelia grogne en signe d'approbation. Elle n'a pas digéré cette phrase, et c'est bien normal.

— Toi comme moi, nous l'avons vécue, cette sensation d'impuissance, où quoi que tu fasses, tu sais que l'homme arrivera à ses fins, et où tu n'as pas d'autre choix que de t'écraser. Si je retransformais Pitys, alors Pan chercherait de nouveau à mettre la main sur elle. Et au vu de la réaction qu'elle a eu, tout à l'heure sur la falaise, elle voulait lui échapper. Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'elle est peut-être mieux là où elle se trouve maintenant. Au moins, elle ne sera plus jamais pourchassée.

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