24.

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A mon réveil, je pouvais me rappeler de chaque instant de ce rêve perturbant. De mon père, ensanglanté, rampant jusqu'à mes pieds, me demandant de l'aider, de lui pardonner. 

"Te pardonner ? Mais qu'as-tu fais de mal ?" Était ce que je lui ai demandé, mais il n'a pas répondu. Il n'a pas répondu jusqu'à ce que l'Empereur apparaisse dans l'ombre et mette fin à sa vie.

Et bien que douloureux, j'ai envie de connaître ses derniers instants, ses derniers mots. Peut-être que ce rêve deviendra plus clair. Bien-sûr si ce n'est pas à nouveau un des effets des pouvoirs de l'Empereur.

- Je dois admettre que je suis assez surpris. Dit-il en s'avançant vers le sofa. Vous me surprenez, chère épouse.

- Parlez, enfin. Lui dis-je. Vous êtes, malheureusement, le dernier à l'avoir vu en vie. Alors, parlez.

Il hoche la tête et s'assoit. Je m'assois à mon tour, sachant trop bien que ce qu'il me dira allait m'anéantir. Debout, je m'effondrerais à genoux. En restant assise, je conserverais au moins une certaine dignité.

- Comme vous le savez, nous nous sommes battus en duel lorsque nous nous sommes retrouvés face à face. Commence-t-il. Votre père ne faisait que de se vanter d'avoir personnellement pris la vie de mon père. Naturellement, cela m'a mis hors de moi. Je me suis mis à l'attaquer et il répliquait. Je dois dire qu'il se défendait assez bien. Et je suppose qu'il se défendait aussi férocement pour vous. 

Je tenais fortement le tissu de ma robe entre mes doigts, retenant mes larmes de se présenter. Je ne leur laissais aucune chance de couler. Mais mon coeur est en train de me dire qu'il est blessé, et son seul moyen de me le communiquer est par les larmes. Je ne peux pas faire taire mon coeur.

- Il n'y a pas grand chose à dire... Seulement que notre combat a duré un moment, puis le plus fort a fini par gagner. Dit-il brièvement.

- N'a-t-il... r-rien dis sur moi ? 

- Il ne cessait de me dire qu'il ne me laisserait pas vous faire du mal. Dit-il en me regardant droit dans les yeux. Il ne voulait pas que vous deveniez Reine alors que vous n'avez encore rien vécue de votre jeunesse... Puis il a rendu son dernier souffle en prononçant votre nom.

La dernière chose qu'il ait dite est mon nom.

Et tout me semble plus clair.

Il me demande de lui pardonner, car il n'a pas pu me protéger du mal de ce vampire. Mon père, peu importe où il se trouve, sait que je souffre. Il sait ce que j'endure. Mais j'aimerais d'une manière ou d'une autre lui prouver qu'il n'a aucune faute pour qu'il puisse reposer en paix.

- Pleurez-vous ?

Je lève la tête vers l'Empereur, les yeux aussi secs que son coeur. Non, je ne pleure pas. Et je ne pleurerais pas. Pas devant lui. J'ai longtemps apprise à pleurer de l'intérieur, et cela me convient largement.

- J'espère que vous savez qu'un jour je vengerais mon père.

- Essayez, ma chère. Dit-il en souriant, comme s'il me défiait. Mais sachez que la mort de votre père était ma vengeance. Votre vengeance ne nous fera tomber que dans un cercle vicieux. Si vous me tuez, mes soeurs me vengeront, et si vous mourez par la suite, je suis certain que ce blondinet vous vengera puis le royaume des fées s'en mêlera et vous serez la cause d'une nouvelle guerre, cette fois, plus grande.

Il n'a pas tort.

Et je déteste qu'il n'ait pas tort.

- Vous et moi sommes devenus le pilier de ce monde. Continue-t-il. Si nous tombons, tout le monde tombe. Et je suis certain que l'héroïne que vous êtes ne voudrait pas la mort d'innocents.

- Je vais me venger. Dis-je fermement. Mais autrement qu'avec la mort.

- Oh. Dit-il sans perdre sans sourire. Je me demande comment vous allez faire avec un être qui ne peut mourir facilement, et dont les blessures guérissent quasi instantanément.

Honnêtement, je ne sais pas non plus comment faire. Mais je trouverais un moyen. A force de rester avec lui, je le connaîtrais par coeur. Et je trouverais ce qui lui fera mal, ensuite je l'utiliserais contre lui. Même s'il faut que je joue avec ses sentiments, je le ferais. Enfin, s'il a des sentiments tout court. S'il peut éprouver autre chose que de la haine pour quelqu'un, pour une mortelle. 

Mais je ne serais jamais en paix tant que son coeur ne brûlera pas de douleur comme le mien brûle. Tant qu'il ne paiera pas pour le sang qu'a coulé de mon père. Ce sang dont il s'est nourri. 

Je n'ai pu pleurer la mort de mon père que deux fois. Deux. Fois. Et encore, deux fois étaient trop. Car je n'avais pas le temps. Je devais m'occuper de l'Empereur, de la guerre. Deux fois étaient un luxe.

A cause de lui, je ne peux pas être en deuil comme une personne normale. Je n'en ai pas le droit.

- Honnêtement, je trouve cela ridiculement inutile. Dit-il en secouant sa tête. La vengeance prend du temps. Et vous, les humains, n'avez pas de temps. Vous en avez si peu que le gâcher avec la haine et la vengeance est inutile. 

- Alors que voulez-vous que je fasse ? Demandais-je sans vouloir de réponse. Accepter ma situation ? Accepter le fait que je sois marié avec le meurtrier de mon père ? Le fils du meurtrier de ma soeur ? 

- C'est exactement ce que j'attends de vous. 

Je ris jaune.

- Vous vivez dans un délire. Vous êtes clairement dans un état de délire. Dis-je en secouant ma tête. 

- Vous allez tomber amoureuse de moi, Venelia. Et vous regretterez vos paroles. Tout notre passé vous semblera si peu... important. Dit-il avec sérieux. C'est inévitable. 

Je le regarde ahuri, comme s'il venait de dire la chose la plus absurde au monde. En fait, il vient de dire la chose la plus absurde au monde. Je ne sais pas d'où il a autant de confiance en lui, mais il devrait retravailler dessus.

- Qui ne vous dit pas que cela sera le contraire ?

- Rappelez-vous d'une chose. Dit-il en se levant. Je garderais pour toujours l'apparence d'un jeune homme ténébreux et séduisant, tandis que vous vieillirez et perdrez votre beauté. Je serais en bonne santé et vous serez accablés de nombreuses maladies humaines. Je vivrais pour toujours, j'aurais le temps de me marier une dizaine de fois si je le souhaite, avoir autant d'enfants que je veux. Tandis que vous... vous allez restés coincés, marié avec moi. Je serais le seul homme que vous allez connaître... Puis vous allez mourir.

Je refuse de l'écouter. Je refuse de l'admettre. Le détester fait partie de moi... Et il ne peut pas semer le doute dans mon coeur. Non.

- J'espère que vous avez compris où je voulais en venir. Dit-il en souriant. N'oubliez pas, deux ennemis dans une même chambre... soit ils s'entretuent... soit ils s'attirent. 

Puis il s'en va. Juste comme ça. 

Blood's CrownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant