Le Pacte du Roi Livre I

ROLANN

Pourquoi accepter tout ce qui venait de son oncle Michael ou du maître Chomei ? Depuis l'enterrement ces deux-là n'avaient cessé de s'entretenir. Bien sûr Chomei dirigeait le groupe Tanaka Electronics, lequel s'avérait un partenaire de longue date du groupe Rufousblade. La mort de son créateur n'arrêtait pas la marche de la multinationale au contraire. Il fallait se répandre, trouver, organiser, promettre et restructurer comme répétait l'oncle Michael. Dès lors l'on partagerait quelques jours avec la famille Tanaka dans leur propriété de Kotobikihama, plage appréciée aux pins remarquables non loin de Kyoto. Déjà deux jours. Se lever, faire semblant d'aller mieux aux heures de repas, faire semblant d'aller mal lorsque l'on se retrouvait seul mais épié. 

Finalement un masque continuel pour de continuelles attentes. Heureusement pouvait-il s'échapper quelque peu au travers des leçons de maître Chomei. Effectivement là, pas moyen de se défiler. L'entraînement lui faisait du bien par ailleurs donc pourquoi s'en priver ? Sur la plage devant le bleu océan et l'odeur de l'iode marin. Il n'y avait que peu d'endroits pouvant offrir autant de recueillement naturel. Tôt le matin ou au crépuscule approchant cependant. Le reste de la journée voyant un nombre étonnamment important de baigneurs ou de promeneurs animer le sable blanc. Un soir il décida lui aussi de se promener. Peut-être fatigué de mentir et de se prêter au jeu que l'on attendait de lui. 

Il marcha pendant une heure au moins, essayant de ressentir le délié de ses pas sur la matière construite de millions de grains qui sur certaines plages, lui avait-on dit, produisait ce chant remarquable et mystérieux typique : Nakisuna. Il n'entendit rien. Un certain bonheur pourtant. Rajoutons à cela le plaisir peu conscient de jouer avec son casse-tête en cuivre, de le tourner et le retourner dans tous les sens, de le résoudre puis de recommencer. Rouge. C'est ce qu'il se dit en regardant le soleil s'échapper au loin. Toi aussi tu m'abandonnes. Il s'était assuré de prendre un léger sac-à-dos avec de quoi attendre et s'éclairer un peu. Mais le soleil dominait encore ce joli tableau ou le chaud altier rejoignait le froid endormi. 

Le calme... Voilà ce qu'il cherchait et que là, seul enfin, il commençait à retrouver. Alors que décidant de s'asseoir il perçut des pas sourds sur le sable, il remarqua une silhouette se rapprocher. Les rayons du puissant astre brûlaient encore suffisamment pour offrir un clair-obscur contrasté et étirer fortement les ombres. Quand il reconnut le visage son échine se crispa et il ne dit mot, manifestement contrarié. La sombre silhouette s'avança et le salua. Il répondit. Une tension muette et palpable grandissait autour d'eux. Puis le nouveau venu la brisa. S'inquiétant de savoir s'il appréciait le séjour chez eux. Le paysage était d'exception par ici... 

Et puis compte tenu des récents événements il fallait s'autoriser le recueillement. Il s'entendit répondre : « Si tu le dis. » Shun fut piqué au vif. Il observa son vis-à-vis et finit par se détendre. Il lui demanda non sans insister sur chaque syllabe s'il avait participé aux réunions avec son oncle et son propre père ? S'il avait pris une décision concernant la succession et la direction de Rufousblade ? Il lui fit remarquer enfin que s'il avait besoin d'aide il serait enchanté de lui apporter son soutien. Rolann se contenta de sourire. Volte-face et déjà il disparaissait, le sac à dos tenu sur l'épaule d'une main à la manière d'un garçon solitaire. Ce n'était pas exactement ce qu'escomptait Shun. Il lança dans un soupir mais suffisamment fort pour être perçu : « Décidément Rolann malgré toutes ces années à nous côtoyer tu n'as toujours pas saisi le fond qui tient la forme. » C'en était trop. Une nouvelle volte-face et il laissa choir le sac. S'avançant vers Shun il lui agrippa le col et dit avec colère :

- Ça t'amuse ?

- Un rien m'amuse. Mais en ce qui te concerne il s'agit plus d'inquiétude. Tu dois te reprendre, par respect pour la mémoire de ton père.